Swiss Made Combien de temps encore à trôner au sommet de la pyramide ?

Swiss Made Combien de temps encore à trôner au sommet de la pyramide ?

Décisions surprenantes de la COMCO, baisse de fréquentation des rendez-vous historiques et complexité croissante pour les assembleurs de s’approvisionner en moteurs suisses. Autant d’épées de Damoclès qui en encouragent de plus en plus à se poser la question suivante :

N’y a-t’il donc pas de véritable alternative ?

Nous allons tenter de comprendre les tenants et les aboutissants d’une situation aujourd’hui complexe…

Swiss Made : gage de qualité devenu argument marketing rayonnant ?

On le sait et on ne s’en cachera certainement pas : la grande majorité des montres qui nous font aujourd’hui toujours rêver sont nées en Suisse. Elles traversent les décennies avec un flegme parfois déconcertant et les années redonnent même parfois un souffle glorieux à celles qui furent boudées par le passé. Audemars Piguet Royal Oak et Rolex Cosmograph Daytona, je pense à vous.

Un point commun entre ces montres, icônes et anonymes souvent si différentes ? Une qualité de fabrication et des mécaniques qui ont fait leurs preuves sur bien des terrains. Des montres devenues synonymes des plus grandes aventures et époques auxquelles la montre mécanique était encore un outil de charme sur lequel on comptait pour faire la différence entre la vie et la mort.

Il est ainsi facile de comprendre comment et pourquoi l’appellation Swiss Made est devenue en un demi-siècle la référence que l’on connait aujourd’hui. La Suisse a investi dans l’outil de production et donné naissance aux mouvements mécaniques les plus fiables et les plus robustes. Des développements qui s’échelonnent sur plusieurs décennies et aujourd’hui largement fiabilisés. Nous y reviendrons plus tard, mais c’est un élément essentiel à considérer. L’outil de production suisse n’a donc pas volé sa réputation et la mérite même amplement.

Il est donc logique que beaucoup souhaitent s’y associer, pour les bonnes, ou les mauvaises raisons. Nous allons développer…

Le Swiss Made de ceux qui ne sont pas des manufactures : le meilleur comme le pire…

Parmi les joueurs qui souhaitent faire partie de l’aventure, il y a tout un tas de motivations très différentes et de produits qui leurs ressemblent.

Il est vrai qu’il y a aujourd’hui tout un tas de manières de faire une montre Swiss Made.

On peut appuyer sur un bouton avec l’envie d’avoir « sa montre suisse » et laisser une société de « private label » s’occuper de tout et faire les choix determinants à notre place. C’est une solution rapide et simple pour ceux qui possèdent déjà une marque et une image et souhaitent étendre leur gamme au monde de l’horlogerie. C’est une loterie qui ne se transforme que très rarement en fabrique à belles montres, encore moins à grandes montres qui à leur tour traverseront les décennies.

A l’opposé de cette démarche qui ne met pas vraiment le produit au centre des préoccupations se trouve celle de prendre contact avec les spécialistes de la fabrication de chaque composant et développer avec eux les solutions techniques qui vous permettront de répondre au mieux à votre cahier des charges. Pour cela faut-il encore avoir des exigeances. Et une vision.

D’un côté, il y aurait donc ceux qui, motivés par une réelle démarche de création d’un produit cohérent, respectent plus d’un siècle de culture horlogère et souhaitent ajouter leur pierre à l’édifice. De l’autre, des volontés souvent plus motivées par la perspective du gain et de la revente. Entre le blanc et le noir, il y évidemment une large zone grise où se mélangent allègrement les visions produit, marché et envies.

Et c’est bien là que nous allons trouver l’origine de ce qui chamboule aujourd’hui le monde de l’horlogerie : la décision en attente de la COMCO (Commission de la Concurrence suisse) qui pourrait interdire à ETA, plus grand fabricant de mouvements suisses et propriété du Groupe Swatch, de vendre ses mouvements aux marques tierces qui ne font pas partie de son groupe.

La comparaison est loin d’être parfaite, mais interdire aux fabricants de montres mécaniques suisses d’acheter des mouvements mécaniques suisses, c’est un peu comme si l’on interdisait soudain aux boulangers du monde entier, de faire du pain au levain avec… du levain. C’est très vite problématique.

Pour comprendre l’origine de cette demande d’arbitrage, il faut remonter au coup de sang de Nicolas Hayek Senior de décembre 2009. Las de voir « n’importe qui », lancer sa collection de montre suisse, il annonce alors sa décision de ne plus vendre de mouvements ETA qu’aux marques de son choix. Etant alors en condition de quasi-monopole, il demande à la COMCO d’arbitrer en sa faveur. La commission décida alors de donner à l’industrie 10 ans pour développer des alternatives viables avant de déréguler le marché.

Seulement voilà, 10 ans ont passé et pas grand chose n’a changé. ETA est toujours le fournisseur de l’écrasante majorité des montres suisses alors qu’une décision doit tomber.

Décembre 2019, la COMCO annonce l’interdiction pour le Swatch Group de vendre ses mouvements aux marques hors du groupe. Confusion, incompréhension et peur s’emparent alors du secteur. Quelques semaines plus tard, afin de calmer les tensions, la COMCO annonce un report de cette décision à décembre 2020. On arrête de respirer.

Cesser de vendre aux autres ? Mais à quel prix ?

Une telle décision, si elle venait à tomber, pourrait en effet remettre profondément en question le paysage horloger tel que nous le connaissons.

Cesser d’approvisionner l’industrie en mouvements suisses fiables signifierait asphyxier la grande majorité des marques qui emboîtent ces mouvements en les obligeant à se tourner vers des alternatives qui ne peuvent malheureusement pas faire face à une demande globale. Pas exclusivement helvétique du moins.

Mais si une telle décision vient mettre un couteau affuté sous la gorge de tous les concurrents du Swatch Group, petits ou grands, elle pourrait aussi par la même occasion mettre une balle dans le pied du groupe même.

On imagine en effet difficilement le marché actuel absorber tout ce manque à gagner uniquement via les marque du Swatch Group. Un outil de production habitué à tourner à plein régime serait donc certainement amené, du jour au lendemain, à réduire considérablement son appétit. Ça non plus, ne serait certainement pas une bonne nouvelle.

En jetant un regard à plus long terme sur ce paysage horloger en mutation, une telle décision signifierait aussi de mettre une soudaine grande claque à la création et à une concurrence stimulante responsable de la naissance de belles choses, d’évolutions majeures et de renouveau.

Le passé, dans bien des domaines, a pourtant montré que le confort d’une absence de concurrence ne motive pas l’être humain à se dépasser, dans les arts comme dans la technique.

Plus grave même pour l’industrie suisse, si elle cessait de répondre à une demande globale, serait la conséquence logique de voir la production se délocaliser massivement vers d’autres pays producteurs de mouvements fiables, notamment le Japon.

Car pour les fabricants de montres qui n’ont pas la puissance nécéssaire pour investir dans la fabrication de leurs mouvements, à choisir entre un label Swiss Made qui porte certes un aura marketing et la certitude de pouvoir continuer à produire en utilisant des mouvements fiables, le choix est simple.

Quelles sont alors les alternatives à ETA ? Nous avons simplement demandé aux horlogers

En Suisse

Evidemment, tous les regards se tournent vers Sellita, deuxième producteur en volume de mouvements suisses dont nombre de calibres peuvent se substituer aux mouvements ETA. Des mouvements fiables et la possibilité de continuer à faire du Swiss Made, mais des carnets de commande qui débordent déjà pour l’entreprise que le Swatch Group soupçonne d’être de mèche avec la COMCO. Une entité qui ne pourra de toute manière malheureusement pas répondre seule à la demande globale. Une excellente solution pour les assembleurs aux commandes conséquentes déjà bien implantées dans le paysage et les petits nouveaux qui auront de la chance.

Il y a aussi Soprod et STP. Des fabricants de mouvements suisses qui ne jouissent pas encore de la même aura ni de la même capacité de production que les mastodontes que sont ETA et Sellita. Pourtant des calibres qui se fiabilisent de plus en plus et des réputations grandissantes ces dernières années.

L’avis de l’horloger :

« Il y a bien évidemment d’autres fabricants de mouvements suisses, certains très bons, mais la taille de leur production ou l’étroitesse de leurs gammes les rend encore anecdotiques quant aux réponses concrètes à apporter à la résolution du problème si ETA venait réellement à fermer les vannes. »

Selon les professionnels, les deux grands motoristes suisses proposent donc des calibres au niveau de performances très similaires. Il ne reste plus qu’à pouvoir s’approvisionner…

Au Japon

On le sait, le Japon produit depuis longtemps des mouvements extrêmement fiables et dispose de l’outil de production capable d’alimenter le marché.

L’avis de l’horloger :

« Les calibres Miyota (Citizen) et Seiko en tête de liste fonctionnent extrêmement bien et il y a aujourd’hui un vrai recul sur leurs architectures les plus populaires. Les horlogers du monde entier savent les entretenir et l’acquisition de pièces de rechange reste très facile. »

Une solution évidente pour qui ne pourrait plus, dès demain, disposer de calibres suisses. Un choix qui entraînerait bien évidemment pour ces marques la fin de l’association au Swiss Made.

En Chine ?

La chine produit aussi ses mouvements, dans des gammes très variées.
Malheureusement, même chez Seagul, pas encore depuis assez longtemps. Des mouvements souvent perfectibles ou pas encore fiabilisés et des économies presque systématiques sur les composants et matériaux utilisés qui créent des soucis à court, moyen ou long terme.

L’avis de l’horloger :

« Ce n’est pas faute d’essayer et je ne doute pas qu’ils soient bientôt capables de
répondre de manière saine à une demande globale, mais il faudra encore du temps. »

En Allemagne

Le pays voisin à la Suisse dispose également d’un outil de production impressionnant qui alimente quasi exclusivement les marques historiques du bassin de Glashütte. Nomos produit par exemple d’excellents calibres mais ne les vend, à ma connaissance, pas à d’autres. Dommage, cela pourrait pourtant faire partie d’une solution.

L’avis de l’horloger :

« Utiliser des mouvements Nomos ? Effectivement, beaucoup en seraient fiers et ce serait idéal sur des segments de prix supérieurs ! Ce sont d’excellent calibres ! »

Un nouveau paysage à l’horizon ?

L’avenir nous le dira, les renversements de situation peuvent encore être nombreux quant aux décisions de la COMCO. Ce qui est certain, c’est que continuer à jouer avec les nerfs et la survie même d’autant d’acteurs du secteur horloger n’est pas sain pour une industrie suisse qui n’est pas prête à répondre, sans le Swatch Group, à une demande globale croissante.

Le Swiss Made est encore aujourd’hui un gage de qualité pour ceux qui valorisent la robustesse et la fiabilité de calibres éprouvés et la rigueur de la confédération en terme de contrôle qualité. ETA est aussi un nom qui résonne encore fort dans l’esprit de beaucoup d’amateurs, mais pour combien de temps ?

Il y aura d’autres options, il ne tient qu’à la Suisse de décider elle-même si les assembleurs du monde entier se tourneront vers elles, par choix ou par obligation.

Encore une fois, rien n’est encore joué, mais il serait terriblement dommage de casser un si beau jouet, que ce soit par fierté ou à cause d’un protectionnisme à court-terme. 2020 sera encore l’année de toutes les incertitudes pour les assembleurs, particulièrement les petits.

Tout ce que nous espérons, au nom de la création et de la belle horlogerie, c’est que l’horizon s’éclaircisse au plus vite afin que la confiance revienne…

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