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La notion de manufacture

La notion de manufacture Est-elle réellement utile ?

Manufacture par-ci, manufacture par-là. Ces dernières années, le jardin de nos passions pour l’horlogerie s’est retrouvé sans arrêt arrosé du beau refrain que représente la notion de manufacture. Car si la notion est belle, elle doit être expliquée et remise dans un contexte, ayant évolué largement au fil des années. Qu’est-ce qu’une manufacture aujourd’hui, comparativement à hier ? Nous discuterons principalement de sa pertinence et de son utilité pour les différents acteurs qui l’entourent, en nous appuyant sur le cas d’école Omega.

Manufacture : définition(s)

Partons de la définition classique qui est double et provient du latin médiéval manu factura, travail à la main :

Entreprise industrielle réalisant des produits manufacturés (ne se dit plus que pour certains établissements) : La manufacture de tapisseries des Gobelins.

Larousse

ou :

Forme historique d’organisation du travail fondée sur la technique manuelle et caractérisée par la concentration de la main d’oeuvre, par la subdivision de chaque processus de production en une série d’opérations de travail simplifiées, par la différenciation et la spécialisation des instruments de travail (chaque outil ne servant qu’à un seul procès de production)

CNRTL

Pour faire simple, est manufacturé ce qui est réalisé “à la main”, mais aussi plus largement dans l’aire industrielle, ce qui est regroupé dans un même lieu en vue d’une production, tout en conservant à l’esprit un travail manuel. Prenons l’exemple de la grande société qu’est devenue Omega pour mieux comprendre les étapes qui entourent la manufacture.

Cas d’école : la marque de montre Omega

La notion de manufacture horlogère est apparue progréssivement. Au XIXe siècle, on parlait de “comptoir d’établissage”. Je pense notamment à celui fondé par Louis Brandt à l’âge de 23 ans à La Chaux-de-Fonds.

Basé sur une division déjà poussée du travail, le comptoir d’établissage est l’une des formes d’entreprises horlogères les plus répandues et les plus importantes depuis la fin du XVIIIe siècle. Il est dirigé par un fabricant-négociant qui achète les ébauches et parties constitutives à des fournisseurs spécialisés, puis les confie à d’autres ateliers ou travailleurs à domicile pour le finissage, l’échappement, l’empierrage, le repassage, le réglage et le remontage, jusqu’à la terminaison complète de la montre. Il centralise toutes ces activités, en contrôle la bienfacture, les rétribue et cherche des débouchés pour la marchandise ainsi obtenue.

La saga Omega / Marco Richon
L'histoire Omega - Louis Brandt et Frères

On comprend alors que les premiers pas d’une marque de montre s’appuient sur une division de ses fournisseurs pour leurs qualités diverses et leur spécialité, avant de tout rassembler dans un même endroit et les vendre par divers moyens. C’est une première étape dans la vie d’une marque, qui sans forcément rassembler toutes les finances nécessaires à un autre mode de fonctionnement se doit e s’entourer de partenaires de confiance et de lancer des productions. Mais l’histoire d’Omega nous montre que rapidement le mode de faire a évolué.

Louis-Paul et César Brandt sont au nombre des grands pionniers de l’industrialisation horlogère. Ils n’hésitent pas à appliquer les procédés mécaniques de fabrication soignée à la montre de qualité. A la mort de leur père, ils décident d’abandonner le système somme toute peu satisfaisant de l’établissage pour transformer leur entreprise en manufacture, une forme d’activité qui regroupe sous le même toit tous les ateliers et le personnel nécessaires à la production la plus rationnelle possible de la montre et de toutes ses parties détachées. Ils s’établissent en 1880 à Bienne, où les communications sont plus faciles, la main d’oeuvre plus disponible, l’énergie (surtout hydraulique) plus abondante, l’esprit pionnier plus audacieux et l’environnement économique moins hostile aux idées de modernisation. La même année marque le lancement du premier calibre à échappement cylindre réalisé par procédés mécaniques […] En 1885, ils créent une famille de six calibres “Labrador”, les premiers à échappement à ancre, dont la précision atteint déjà 30 secondes par jour […] Puis c’est en 1894 l’avènement du célèbre calibre Omega, remarquable par la perfection de sa construction, l’ingéniosité de certains mécanismes, comme celui de la mise à l’heure (par la tige de remontoir), et par la relative modicité de son prix.

La saga Omega / Marco Richon

On peut le dire sans hésiter : Omega a été une marque pionnière dans le développement de l’idée de manufacture, tout en essayant au fil des années de rassembler davantage d’activités sous le même toit. Mais la marque a aussi pu bénéficier de rapprochements, de fusions et acquisitions qui ont changé sa façon de faire les choses et à réfléchir en entité groupée.

Par la suite, au début des années 1930 et en pleine crise économique, Omega fusionnera avec Tissot (au Locle) au sein de la société SSIH (Société Suisse pour l’Industrie Horlogère), et fait important, absorbera la marque Lemania en 1932, d’où l’utilisation par Omega de ces mouvements pour nombre de montres. Entre la fin de la guerre et les années 1970, Omega rachètera nombre de grands noms, les fabriques Rayville/Blancpain en 1961 ou encore l’américaine Hamilton en 1971.

Le début des années 1980 sonne l’heure de la crise chez Omega, qui doit être sauvé par quelques organismes bancaires. Même situation pour l’autre groupe de taille de l’époque, l’ASUAG, propriétaire de Longines, Rado et un peu plus tard Swatch. C’est alors Nicolas G. Hayek qui en 1983 est mandaté pour se charger des stratégies de restructuration des deux groupes, qui finiront la même année par être fusionnés au sein du trust ASUAG-SSIH. Ce même grand Monsieur Hayek en prendra le contrôle deux années plus tard en le renommant SMH, pour Société Suisse de Microtechnique et d’horlogerie. Devant le succès de la marque Swatch lancée au même moment, il renommera l’entité en Swatch Group en 1998. Vous connaissez j’en suis certain la suite de l’histoire.

En un peu près 150 ans de temps, Omega est passée d’un comptoir d’établissage à une manufacture et un groupe avant d’elle-même intégrer un consortium et le groupe Swatch.

Manufacture hier, et aujourd’hui

L’exemple d’Omega, qui est rapidement passée du comptoir d’établissage à une certaine approche de la manufacture, nous donne une idée de ce qui se cache derrière. Au fil du temps, essayer de réunir sous le même nom et sous le même toit une grande partie des activités et personnel d’une marque donnée. Évidemment, cela n’était pas le cas pour toute montre sortant de chez Omega bien au contraire. On se souvient de Huguenin Frères, fabricant de boitiers qui oeuvra beaucoup pour la Speedmaster, entre autres, ou encore de Lemania qui même après son rachat fournissait des mouvements pour diverses marques, dont Omega évidemment.

Bracelet Tropic Joseph Bonnie - Omega Speedmaster 145.022-69

Pour changer de marque, n’oublions jamais que la société de mouvements Valjoux fournissait aussi bien des mouvements à Rolex pour son Cosmograph, entre autres, qu’à Nivada pour son Chronomaster. Pas si étonnant dans le cas de Rolex, car vous n’êtes pas sans savoir que développer un mouvement de chronographe pour une production de série prend un paquet d’années. Je ne peux que vous recommander la lecture de Jérôme à ce sujet sur les mouvements de manufacture et leur importance.

Mon point est d’expliquer pourquoi, lorsque j’entends le discours de certains ne jurer que par ce qui est fait en interne, qu’il est bon de la remettre en perspective.

Il s’agit souvent d’un équilibre, de savoir absorber ce qui nous rend le plus service quand nombre de choses sont très bien faites par d’autres professionnels. Je pense par exemple à la marque Oris, qui a dû attendre le début des années 1950 pour proposer son premier mouvement “de manufacture”, et qui aujourd’hui, si elle sait nous épater avec ses Calibre 400, entre autres, une grande majorité des pièces sont équipées de mouvements Sellita, certes retravaillés par Oris, mais tout de même vous saisissez l’idée. Tudor, avec ses Black Bay 32/36/41 mm, fait appel à ETA pour les mouvements, ou encore Sellita pour son T603 équipant la Royal jour et date. Je ne vais pas faire la longue liste des autres marques. Mais ces dernières savent épater par des mouvements qu’elles pensent et produisent, tout en gardant les savoir-faire d’autres entreprises pour d’autres montres de leur collection.

Bracelet acier - Tudor Submariner 79090

Évidemment, des marques comme A. Lange & Söhne, Patek Philippe, Vacheron Constantin et j’en oublie forcément, nous font souvent déclencher un effet de chaleur intense à la découverte des finitions exceptionnelles de leurs mouvements.

Mais au-delà des mouvements, qu’il s’agisse de boitiers, de cadrans ou d’aiguilles, le discours reste le même. Pour ne parler que du métier historique des cadraniers, et à moins d’absorber de telles entreprises, il reste toujours une bonne idée de faire appel aux savoir-faire d’une société cadranière, que cela soit en Suisse ou ailleurs. De très nombreuses marques, peu importe leur taille et indépendance, font encore appel à des cadraniers pour la réalisation de leurs cadrans. Sont-ils pour autant moins bien ? Je ne pense pas, bien au contraire.

Disons que la notion de manufacture a un sens quand elle apporte un vrai supplément d’âme. Des anglages de qualité sur le mouvement L132.1 et ses 567 composants qui équipe le Triple Split A. Lange & Söhne; un émaillage cloisonné, champlevé, ou paillonné sur une pendulette dôme Patek Philippe; ou encore les sublimes créations Chopard du 25e anniversaire de la manufacture L.U.C. avec l’heure sautante Quattro Spirit 25. C’est aussi un moyen de faire démonstration de ses capacités, comme Oris et les très belles caractéristiques de son Calibre 400, Pequignet et son calibre français, pour ne citer qu’eux.

Résultat des courses, il est satisfaisant d’avoir au poignet un calibre de manufacture lorsqu’il vient avec de vrais atout, qu’il s’agisse de précision, de fiabilité ou de beauté ou d’une augmentation notable de sa réserve de marche. Sinon, si ce n’est que pour quelques finitions qui restent standard et simplement pour “dire que”, cela dessert le consommateur qui payera sa montre beaucoup plus cher pour finalement pas grand chose…

Si toutes les décennies passées ont pu nous montrer que de nombreuses marques, parfois très prestigieuses, ont su s’entourer d’excellents manufacturiers spécialisés, c’est pour une raison très claire. C’est à la fois comme ça que la marque se construit et apprend, qu’elle commence à absorber ou développer ses propres moyens de confection, et quand son rayonnement perce davantage et pour plus de rationalité et de contrôle quand la demande explose, elle se constitue manufacture, et éventuellement un jour rejoint une entité composée d’entreprises similaires.

Dans tous les cas, on ne peut pas apporter véritablement de jugement de valeur à une marque en fonction de sa “manufacture” ou pas. Il faut arrêter de jurer uniquement par cela, se poser certaines questions, et comprendre si cette notion a un véritable intérêt au cas par cas. Qui aurait pu dire de Tudor dans les années 1990 en regardant une Submariner 79090 équipée d’un mouvement ETA que la perception du produit changeait ? Personne

Tudor Sumariner 79090 sur bracelet Rallye Joseph Bonnie

A mon sens, l’important reste d’abord un design, la bienfacture d’un produit et l’émotion qui s’en dégage…

Une réponse à “La notion de manufacture”

  1. Lionel dit :

    Un article interessant, merci. J’apprends donc que ma petite entreprise est un “comptoir d’établissage”… Délicieusement désuet.

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