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Le cuir Matière d'avenir ?

Pointé du doigt par certains écologistes, à bannir pour quelques défenseurs de la cause animale, le cuir — pour autant que l’on s’accorde sur ce que c’est exactement — a eu mauvaise presse ces derniers temps. Il y a déjà plusieurs années, des créateurs comme Jean-Paul Gaultier ou Stella McCartney avaient abandonné cette matière au profit d’alternatives synthétiques, initiant une tendance qui s’est accentuée dans le petit monde de la mode récemment.

Pour autant, à y regarder de plus près, l’alternative la plus écologique au cuir reste… le cuir. Faisons le point sur les informations et désinformations sur cette matière plusieurs fois millénaire.

Le cuir, c’est quoi ?

définition

C’est avant tout l’une des premières matières utilisées par l’homme, dont on estime l’apparition il y a environ 50 000 ans. Le cuir est le produit de la transformation par tannage de la peau d’animal, qu’il soit bovin, ovin, reptile, poisson, etc. Pour la très grande majorité, une peau est structurée ainsi : l’épiderme, partie supérieure de la peau riche en kératine, qui sera enlevée au moment de l’épilage et du pelanage ; le derme, qui constituera le cuir à proprement parler. Il est séparé de l’épiderme par la couche hyaline dans laquelle s’enracinent les poils. Elle est plus connue sous le nom de fleur, et est garante de la qualité du cuir ; les tissus sous-cutanée, fibres lâches et peu denses non conservées après tannage.

Le cuir - Schéma

L’appellation croûte de cuir, parfois maquillée du qualificatif « véritable », n’est pas juridiquement du cuir, et est souvent couverte de polyuréthane afin de recréer une fleur artificielle. Peu chère et de piètre qualité, elle est réservée aux articles bas-de-gamme. Les cuirs fleurs corrigées (ou cuirs rectifiés) ont subit un ponçage de la fleur et souvent sont eux aussi recouverts de polyuréthane ou autre matière synthétique. Ils sont cependant de meilleure qualité car plus denses et car la correction est plus légère. Elle permet cependant d’avoir un rendu parfaitement uniforme, sans piqûre ni défaut apparents. Enfin, les cuirs pleine fleur, les plus nobles, présentent toutes les qualités d’imperméabilité, de souplesse, de tenue dans le temps, notamment grâce à cette couche hyaline. Par ailleurs, ils laissent visibles toutes les traces de vie de l’animal, qu’elles soient cicatrices, maladies de peau, piqûres, rides, etc. Pour cette raison, environ 20% des peaux seulement sont de qualité suffisante pour être pleine fleur. Elles sont destinées en priorité aux grandes maisons et aux grands groupes du luxe, propriétaires de plus en plus de tanneries en France et en Italie.

Le tannage du cuir

Un mot également sur le tannage en lui même. Complexe et requérant un véritable savoir-faire, il nécessite l’utilisation de tannins qui se divisent en deux grandes familles : les minéraux (à 80% du chrome, mais aussi des sels d’aluminium ou de zirconium) et les végétaux (chêne, bouleau, quebracho, bruyère, etc.). Pour ces derniers, on parle alors de cuirs tannés végétal, qui bien souvent se transforment — sciemment ou pas — en cuir végétal, ajoutant à la confusion déjà grande au sujet des matières d’origine végétale. Pour éviter toute erreur, on peut retenir que l’appellation « cuir » répond à une définition bien précise, encadrée par l’article L.214-1 du code de la consommation : « L’utilisation du mot « cuir » […] est interdite dans la désignation de toute autre matière que celle obtenue de la peau animale au moyen d’un tannage ou d’une imprégnation conservant la forme naturelle des fibres de la peau ». L’expression « cuir de champignon » par exemple est donc une antithèse.

Le cuir, précurseur du recyclage

Si l’on met de côté la question des cuirs exotiques (crocodiles, serpents, etc.), les peaux utilisées dans le tannage du cuir sont issus d’animaux élevés pour leur viande uniquement. La peau est considérée comme un déchet, n’est valorisée ni par les éleveurs ni par les abattoirs, et doit même être rapidement évacuée afin d’éviter d’éventuels problèmes sanitaires. De cet état de fait découlent deux conséquences implacables : le cuir est le produit de la valorisation d’un déchet et se substitue à la production d’une matière neuve ; consommer moins de cuir n’a pas d’impact sur l’abattage d’animaux, voire même un impact négatif.

l’impact écologique du cuir

Le premier argument souvent présenté à l’encontre du cuir est l’impact écologique. Il est vrai que le tannage, au chrome en particulier, est polluant et nécessite une grande rigueur dans le retraitement des eaux usées afin d’en limiter les conséquences négatives. Mais comme dans de nombreux domaines, pour le cuir ce sont les produits bas-de-gamme issus en grande partie d’Asie du sud-est (du Bangladesh en particulier) qui coûtent cher à l’environnement : absence de normes écologiques, conditions de travail désastreuses, transport très important pour importer les peaux brutes puis les exporter à nouveau, fermes-usines, etc. A l’inverse, nous avons la chance d’avoir en France l’intégralité de la filière, de l’élevage à la confection, qui par ses réglementations parmi les plus strictes permet de limiter l’impact environnemental : recyclage des eaux usées et des déchets, sourcing local, élevage en grande partie raisonné, etc. L’essentiel est donc de bien choisir son cuir et sa provenance. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que le cuir, étant la valorisation de ce qui est à la base un déchet, relève de la transformation, quand ses alternatives relèvent, elles, de la production, impliquant là aussi une chimie parfois lourde.

le cuir a la peau dure

De plus, lorsque l’on fait référence à l’empreinte écologique d’un produit (ici le cuir), on oublie souvent de le rapporter au temps d’utilisation de ce même produit. Comment peut-on ne pas prendre en compte cette composante essentielle qui change fondamentalement notre regard sur certains produits. Et à ce compte, le cuir — d’autant plus s’il est de bonne qualité et tanné en France — est loin devant ses alternatives étant donné sa grande durée de vie. J’ai eu l’occasion de l’aborder au sujet du cuir de Russie, ou d’un portefeuille vieux de 120 ans que j’ai eu la chance de restaurer, un bon cuir traversera les générations bien plus sûrement que bon nombre de matières alternatives.

Quand la filière cuir pousse à la prise en compte du bien être animal

Quand on parle éthique, le cuir est là encore souvent montré du doigt. Pourtant, à l’inverse de la fourrure à laquelle il est parfois comparé, aucune vache ou chèvre, aucun mouton n’est élevé pour sa peau. C’est bien la consommation de viande qui influe à la hausse ou à la baisse sur les abattages. Boycotter le cuir non seulement n’a pas d’impact donc, mais en plus demande de produire une matière alternative, avec la consommation d’énergie qui va avec. Mais surtout, la demande en peaux de qualité à destination des produits de luxe — les fameux cuirs pleine fleur — pousse à une meilleure prise en compte du bien être animal, et ce pour différentes raisons. Comme indiqué précédemment, seulement 20% des peaux sont de qualité suffisante pour être transformées en cuirs pleine fleur, le reste étant trop marqué par différents défauts.

La filière cuir et notamment le syndicat général des cuirs et peaux fait depuis plusieurs années maintenant un travail très important auprès des éleveurs et des abattoirs afin d’augmenter la qualité des peaux, ce qui leur permettrait de les valoriser. Les actions mises en places sont nombreuses : remplacement des barbelés — pouvant provoquer blessures et cicatrices — par des barrières, vaccination contre les maladies de peau, nettoyage des excréments afin de ne pas brûler la peau, diminution du stress, qui par augmentation de la pression sanguine rend les peaux veineuses (ou creuses), amélioration des conditions de transport pour éviter les blessures, etc. Si la majorité des éleveurs n’a pas encore pris en compte ces améliorations, souvent par manque de moyens d’ailleurs, la filière cuir est bien motrice de ce changement et supprimer cette demande forte pour des cuirs pleine fleur aurait très certainement un effet contre-productif sur ces questions éthiques.

Un point sur les alternatives

Le cuir végétal

De nombreuses alternatives au cuir ont le vent en poupe ces derniers temps. Parmi ces nouveaux matériaux, il y a ce que l’on appelle — à tort donc — les cuirs « végétal ». Faits à partir de champignon (le Muskin), de fibre d’ananas, de liège, ou encore de marc de raisin, ce sont des agglomérés de fibres transformées. Ces matières ont en commun d’utiliser des matières végétales, et parfois même recyclent des déchets végétaux comme dans le cas du marc de raisin. Une démarche écologique donc. Cependant, la grande majorité de ces nouveaux matériaux nécessitent une chimie assez lourde pour leur transformation, ainsi qu’une consommation importante de résine et/ou de colle afin d’agglomérer les fibres. Ils sont parfois également recouverts de polyuréthane pour former une surface résistante et similaire au cuir.

de vraies alternatives

Enfin, s’il est encore un peu tôt pour mesurer la durée de vie de ces matières premières, les premiers aperçus sont loin d’être au niveau du cuir, ce qui implique un impact écologique plus élevé. Prudence donc quant à la révolution verte annoncée.
Si par conviction l’on souhaite totalement se passer de cuir, ce qui est un choix respectable, les meilleures alternatives seraient donc du côté des textiles peu traités et robustes — des toiles de lin/coton par exemple, qui pour un sac ou un bagage peuvent tout à fait faire l’affaire.

En résumé, prenons garde à bien connaître les implications de nos actes d’achat, et regardons plus loin que les labels réducteurs. Ne jetons pas le cuir — de qualité — à la poubelle trop vite. Non seulement car il se recycle, mais surtout car ce serait oublier tout ces impacts positifs sur l’écologie, sur l’élevage, sur la durée de vie de nos produits. Le cuir s’entretient, se répare, se transmet, il est inscrit dans le temps long. Finalement, tout ce que l’on doit attendre des matériaux de demain. Le cuir est l’avenir.

5 réponses à “Le cuir”

  1. Hoslet dit :

    Bonjour,
    Excellent article qui remet les pendules à l’heure, en nous cultivant, encore plus largement.
    Merci.
    Cordialement,
    Di

  2. Guillaume Lancelot dit :

    Merci Hoslet. Effectivement, il était temps de rétablir certaines vérités. Je suis ravi que l’article vous plaise.

  3. Marie Hiriart carriat dit :

    Merci pour cet article. Très clair et très éducatif. À partager.

  4. Alice dit :

    Très bon article! Bravo de savoir expliquer simplement toutes les valeurs du cuir. Cette mode de l anti cuir doit cesser.

  5. Maxime dit :

    Bonjour,

    Très bon article, très juste, si l’on met de côté les peaux de serpent et de crocodiles. L’élevage de crocodiles n’est pas glorieux et les dépeçages à vif encore moins.
    Pour le reste, effectivement, l’achat de viande conditionne la quantité de peaux dispo. Arrêtons le “skin bashing” !

    J’ai découvert votre travail il y a quelques jours M. Lancelot, du sacré beau boulot !

    Maxime

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