BELLE LURETTE Épisode 3 : Constellation, par Adrien Bosc
Offerte chaque mois par Les Rhabilleurs à ses lecteurs, Belle Lurette propose une plongée parmi les mots qui évoquent le temps, la durée, leur appréhension ou leur souvenance avec autant d’amplitude que peu de précision : poèmes, extraits de romans, citations, etc. Et pourquoi pas à l’avenir un échappement, un pont vers d’autres shapes artistiques ?
Belle Lurette est-elle une tool pour désamorcer une complication imminente lors d’un red bar trop peu étanche ? Une dress pour séduire ou flatter tel aréopage distingué ? Une flieger en vue de baliser un débat éthéré ?
Peu importe : Belle lurette demeure une gada (« Go Anywhere, Do Anything ») à conserver, puisqu’accessoirement essentielle.
Nicolas, quant à lui, nous fera la faveur au zénith de son éloquence, chevelure spiral(e), de scander ces mots, à sa discrétion, le temps d’une bobine.
Enfin, à ceux qui ignoreraient – encore – ce qu’est une heurette, devenue lurette au fil du temps : une petite heure ? Une demi-heure en Flandres ? Il y a bien plus d’une heure, depuis belle lurette ? Heurette mystérieuse, je guilloche ton nom !
Belle Lurette, une sélection du ressort de Stanislas @rueeverslheure, atteint comme nous autres d’horlogite patentée, toutefois plus indulgent envers les montres peu lisibles que l’art qui le serait tout autant. Encore que !
Nous connaissons tous la Constellation d’Omega. Au masculin, il s’agit de cet avion disparu dans l’archipel des Açores. Également titre du premier roman d’Adrien Bosc, histoire de ce drame.


Ce soir du 27 octobre 1949 sur la piste de l’aérodrome d’Orly, le F-BAZN d’Air France s’apprête à accueillir trente-sept passagers en partance pour les États-Unis. Un an plus tôt, Marcel Cerdan débarquait auréolé du titre de champion du monde de boxe des poids moyens conquis de haute lutte à Tony Zale.
(…)
Aux premières lueurs du jour, la mission française menée par l’inspecteur de l’aviation civile Lévis-Mirepoix embarque à bord d’un coucou de l’aérodrome de Santa Maria à destination de Ponta Delgada. Trois heures plus tard, (…) l’équipée se trouve au pied du mont Redondo. Sous une pluie tenace, et par des sentiers que noie une boue glissante, mouvante et collante, ils entament la longue ascension jusqu’au lieu du crash.
(…)
L’avion gît écartelé, sa carcasse de duralumin tordue, dépecée et souillée par le feu, ne reflète plus rien de son métal brillant.
(…)
Penchés, les inspecteurs français photographient au Rolleiflex les décombres ; dans la chambre de l’appareil émergent par le truchement de l’objectif les morceaux disparates du Constel’ – sous leurs pieds, la tôle froissée en damier ressemble pour peu que l’on s’éloigne à un château de cartes écroulé. Les pentes du Redondo sont jonchées de bijoux, billets de banque, malles éventrées dégueulant leurs effets, et autres objets de valeur éloignés de leurs propriétaires et oubliés des pillards.
(…)
Du désordre s’extirpe une beauté troublante.
(…)
Les secours poursuivent la reconstitution du puzzle du F-BAZN. D’un corps solide aérodynamique et étincelant l’avion est disséminé en un amas de tôles. L’odeur moite du caoutchouc brûlé se mêle en infimes volutes à la bruine, résidus enflammés qui, s’envolant, s’allient en fines couches noirâtres sur les vêtements des sauveteurs. Des petits objets d’abord négligés permettent maintenant de mettre un nom sur les cadavres démis. A la nuit tombée, quarante victimes sont identifiées. Parmi ces pièces de puzzle déversées au hasard, une montre attachée au poignet d’un cadavre livre l’identité de son propriétaire. Un M et un C gravés en son dos hurlent le nom de Marcel Cerdan. Les aiguilles figées indiquent « 8h50 » comme si elles avaient continué à tourner six heures, et ce malgré la violence de l’impact. Mais la raison est tout autre, elles indiquent bien l’horaire du crash mais à son heure américaine. Day for night. Il avançait sur son destin. Le boxeur ne portait pas une mais deux montres, l’une à l’heure de Paris, l’autre, une Reflet de la marque Boucheron, réglée d’avance sur le fuseau de New York. C’était un cadeau d’Édith Piaf, un porte-bonheur.
Adrien Bosc, Constellation, 2014

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