AUDEMARS PIGUET ROYAL OAK OFFSHORE : HISTOIRE La belle et la bête chez Audemars Piguet
Audemars Piguet dévoile la Royal Oak à la foire horlogère de Bâle de 1972. Et sans vraiment le savoir, la manufacture du Brassus vient de créer un nouveau style de montre. Le sport-chic. Rien que ça. Mais que se passe-t-il lorsque l’on pousse le curseur plus vers le “sport” que vers le “chic” ? Cela donne la Royal Oak Offshore, une version plus musclée de sa grande sœur. Mais pas seulement … Retour sur l’histoire de la Royal Oak Offshore.
L’Offshore, fille des années 80
Pour comprendre la genèse de l’Offshore, il faut se replonger dans les années 1980. Retour de la croissance économique, climat géopolitique plus calme … c’est la décennie de l’insouciance, mais aussi de la réussite personnelle, en lien avec un libéralisme exacerbé. L’horlogerie se remet quant à elle peu à peu de la crise du quartz. Audemars Piguet s’en sort en jouant sur deux tableaux, avec à la fois des modèles quartz, mais aussi des modèles haut de gamme à complications.
Une idée allemande
Martin K. Wehrli ancien directeur du Musée Audemars Piguet, l’avoue lui-même : “Contrairement à son aînée, la Royal Oak Offshore ne répond à aucune demande de la part d’aucun marché”. En fait, l’Offshore est plutôt d’un coup de flair, du co-Directeur Général d’alors, Stephen Urquhart. Son idée : masculiniser et rajeunir la Royal Oak qui s’apprêtait à célébrer ses 20 ans. En 1989, il dit dans une note interne : “M. Wettengel [en charge du marché allemand, un marché clé pour AP dans les années 80] est revenu à la charge en ce qui concerne une pièce leader pour les années 90, qui devrait, d’après lui, s’inspirer de toute cette idée “cigarette/offshore” qui prend une certaine importance”
Qu’est-ce que l’offshore ?
Cette “culture offshore” qu’évoque Urquhart fait référence aux bateaux offshore : des bolides des mers surpuissants, et luxueux, façon Miami Vice, dont la popularité explose dans les années 1980. Dans un premier temps, Audemars Piguet sponsorise même certaines équipes de course de bateaux offshore. Luxe outrancier et sportivité exacerbée : ces bateaux sont les versions maritimes de la future Offshore.
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LE Dépôt du nom Offshore
Steven Urquhart sent qu’il tient quelque chose, et dépose d’ores et déjà le nom “Offshore” en janvier 1989. Pour l’instant, il s’agit juste d’un nom, qui n’est même pas encore associé à la Royal Oak. Mais le concept est déjà là : pousser les curseurs du luxe et de la sportivité à leur maximum.
Donner un coup de jeune à la Royal Oak
Sortie en 1972, la Royal Oak a marqué l’horlogerie moderne de son empreinte, n’ayons pas peur des mots. À elle seule, elle a inventé le sport-chic horloger. Mais presque 20 ans après, l’attrait de la nouveauté est un peu redescendu. Et après un début tonitruant, pour ne pas dire scandaleux, elle est peu à peu rentrée dans le rang. Il faut donc la redynamiser. Et la culture “offshore” tombe à point nommé.
Emmanuel Gueit
À l’époque, l’équipe de design d’Audemars Piguet se compose de seulement deux personnes : l’expérimentée Jacqueline Dimier et le jeune loup Emmanuel Gueit. Celui-ci n’est pourtant pas un débutant. Il est le fils d’un grand designer horloger, à l’origine du sertissage arc-en-ciel , de la collection Polo de Piaget et de la Riviera de Baume & Mercier. Rien que ça.
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C’est de qu’on appelle un joli pédigrée ! “On faisait tout, se rappelle Gueit. On courait chez les fournisseurs, on allait choisir les peaux, on allait chez les cadraniers”. Et quand Urquhart décide de faire confiance à Gueit pour son nouveau projet, il n’a alors que 22 ans !
Premiers dessins de l’Offshore
Les premiers dessins de l’Offshore datent d’Avril 1989. Soit seulement 2 mois après le dépôt du nom, au dernier jour de la foire de Bâle, qui sert à prendre les premiers avis. Déjà le concept est là : dimensions titanesques, énorme joint entre la lunette et le boîtier, utilisation du caoutchouc, couleurs vives …
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Il y a même une boussole, qui est finalement abandonnée au profit de la complication chronographe : une première pour une Royal Oak, qui n’avait jusque là reçut aucune complication sportive. La montre commence à prendre forme et rendez-vous est pris pour 1992, à l’occasion du 20ème anniversaire de la Royal Oak.
Le design de l’Offshore : un 4×4 de luxe
Emmanuel Gueit raconte : “Steven Urquhart m’avait demandé de créer la Royal Oak Offshore. Il voulait fabriquer une montre masculine, affirmée, pour les jeunes. Mon idée a été de la faire grosse et épaisse. À l’époque, les femmes commençaient à acheter de plus en plus de montres d’homme. Alors je me suis dit : elles s’approprient notre bijou, il faut faire quelque chose qu’elles ne pourront pas porter. J’ai donc agrandi la Royal Oak, grossi des détails et l’ai rendue ultra-virile”. Ainsi, les maîtres mots sont : puissance, virilité, résistance et design outrancier. Comme un 4×4 de luxe, en somme. Il faut donc voir dans l’Offshore comme une montre ultra-masculine. Une notion qui peut paraître surprenante aujourd’hui mais qui, à la fin des années 1980, n’était pas forcément incongrue. Les mentalités n’étaient pas tout à fait les mêmes.
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Cela dit, avec ses dimensions gargantuesques, l’Offshore se destine en effet à des poignets généreux. Alors que la norme à l’époque était de 36 mm pour les hommes, l’Offshore affiche un diamètre de 42 mm pour une épaisseur de 14.05 mm ! Et Steve Urquhart de résumer parfaitement sa première impression : “Ouah, c’est gros !”
Un accueil mitigé, même au sein d’Audemars Piguet
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Et au sein même d’Audemars Piguet, la partie est loin d’être gagnée : la direction, mais aussi les ateliers, tordent la bouche devant cette Royal Oak sous stéroïdes, y voyant plus une insulte à l’esprit et à l’héritage de la marque qu’un coup de génie impertinent. Urquhart lui-même est partagé, entre la fougue de son jeune designer qui croit à son dessin dur comme fer, et les voix dissonantes au sein même de la manufacture. Mais il se laisse finalement convaincre par Gueit et lui annonce “D’accord, on va le faire pour te faire plaisir”.
Une mécanique fiable et connue
Côté mécanique, Audemars Piguet choisit le calibre 2126/2840, qui repose sur une base LeCoultre 2126 avec un module chronographe Dubois Dépraz 2840. Il s’agit d’un mouvement chronographe automatique à date, qui s’articule autour de 51 rubis, oscille à 21.600 alternances par heure (3Hz) et délivre 42 heures de réserve de marche.
Côté boîtier, les difficultés s’accumulent
Mais si la partie mécanique n’a guère soulevé de problèmes, il en va autrement pour le boîtier. L’emploi de matières synthétiques comme le Therban (une variété de caoutchouc ultra résistante) demande de nombreux ajustements, tout comme la réalisation du bracelet, pourtant confiée aux meilleurs en la matière : Gay Frères.
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Et c’est sans compter l’étanchéité elle-même, qui se révèle plus délicate que prévue (l’Offshore est alors l’un des rares chronographes étanche à 100 mètres). Ainsi, alors que tout devait être prêt à la foire de Bâle 1992 pour accueillir cette grande nouveauté, Audemars Piguet se voit dans l’obligation de repousser la sortie de l’Offshore. Pour la maison du Brassus, hors de question de proposer un produit non abouti qui ne répondrait pas aux standards de la marque, même si cela signifie rater l’anniversaire des 20 ans de la Royal Oak.
Un lancement houleux à la foire de Bâle 1993
Il faut donc attendre la foire de Bâle 1993 pour voir les premiers prototypes de l’Offshore référence 25721. Et autant dire que cela ne se fait pas en douceur ! Les professionnels crient au scandale et déplorent ce dérapage non contrôlé. Parmi eux, Gérald Genta est particulièrement véhément et dénonce un crime de lèse-majesté : “Vous avez abîmé ma montre, vous êtes un assassin !”.
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Les premiers sobriquets fleurissent : “La Bête” et autres noms d’oiseaux. La montre est jugée non seulement trop grosse, mais aussi trop chère : affichée à 16.600CHF, soit deux fois plus chère qu’une Royal Oak classique ! Bref, ça ne s’annonce pas bien. Mais déjà, derrière les professionnels, on entend poindre les voix des plus jeunes, qui saluent l’audace et le design qui, pour une fois, ne ressemble pas à celui des montres de leurs parents.
Des débuts timides
Par conséquent, l’Offshore connaît des débuts pour le moins timides. À tel point que les 100 premiers exemplaires ne reçoivent pas le nom “Offshore” au dos, au cas où la montre soit un flop et que l’on décide d’utiliser ce nom pour autre chose. En trois ans, à peine 721 Offshore trouvent acquéreurs, dont une grande partie en Italie. En effet, la mode des années 1990 y est particulièrement extravagante, et convient bien à cette montre qui ne passe pas inaperçue. Et comme pour enfoncer le clou, Emmanuel Gueit sort un argument massue : “le gars au volant de sa Ferrari, quand il sortira le bras, ça fera tout son effet”. On la voit même au poignet du skieur vedette Alberto “la bomba” Tomba. Ainsi, le royaume des voitures rouges cannibalise un quart des ventes mondiales ! Et puis c’est les États-Unis, la Suisse et l’Allemagne qui s’enthousiasment à leur tour pour l’Offshore. Le mouvement est alors lancé.
1996, l’Offshore trouve enfin son public
Voyant que l’Offshore trouve peu à peu son public, Audemars Piguet va alors passer la seconde. À partir de 1996, la collection Offshore s’étoffe et accueille de nombreuses déclinaisons. C’est notamment l’ajout de métaux précieux, avec d’abord l’or jaune pour une montre pesant 400g, et surnommée le “pounder” par les américains, puis le platine pour une balance encore plus délirante de 429 grammes !
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On voit également apparaître des tailles plus petites (38 et 30 mm) destinées aux petits poignets, mais aussi aux femmes. Quelle ironie pour un modèle qui se voulait exclusivement masculin. Côté bracelet, le cuir fait son entrée, tout comme une nouvelle palette de couleurs vives. Et pour la mécanique, Audemars Piguet introduit des complications de Haute Horlogerie, comme le tourbillon, ou le calendrier perpétuel. Enfin, l’Offshore voit l’arrivée d’éditions limitées, avec par exemple la collaboration avec Arnold Schwarzenegger, qui s’étalera sur plus de 10 ans.
Les années 2000, l’incontournable Offshore
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À partir de ce moment-là, les ventes décollent véritablement et l’Offshore s’impose comme l’un des piliers du catalogue d’Audemars Piguet, dépassant même son aïeule. En 2001, Audemars Piguet dévoile la nouvelle Offshore, la référence 25940SK, qui inaugure le cadran “méga-tapisserie”, mais surtout le bracelet et la lunette en caoutchouc.
![Audemars Piguet Royal Oak Offshore](https://www.lesrhabilleurs.com/wp-content/uploads/2020/07/royal-oak-offshore-rue-st-honore-ref-26181st-2-1920x1280.jpg)
![Audemars Piguet Manufacture - Royal Oak Offshore](https://www.lesrhabilleurs.com/wp-content/uploads/2020/02/audemars-piguet-manufacture-21-1920x1280.jpg)
Les collaborations et autres éditions limitées se multiplient, notamment avec la Formule 1 : Montoya, Grand Prix, Barichello, Schumacher… Mais aussi vers des domaines a priori éloignés de l’horlogerie traditionnelle : NBA, pop culture et hip-hop. L’Offshore incarne alors la montre provocante et luxueuse qui colle parfaitement à cette image du “show off” et devient une véritable icône de mode.
Une évolution mécanique vers le 100% manufacture
Jusqu’au début des années 2000, le calibre 2126/2840 (puis 2226/1840) équipe l’Offshore. Puis, à partir de 2003, la base 2226 (toujours fabriquée par Jaeger-LeCoultre) est peu à peu remplacée par le 3126, un calibre entièrement conçu et fabriqué dans la Manufacture Audemars Piguet. La partie chronographe, renommée 3840, reste quant à elle développée par Dubois Dépraz. Ainsi, désormais, le calibre de l’Offshore référence 25721 (et de son successeur 26170) se nomme 3126/3840. Et il faut attendre 2021 pour que les Offshore accueillent des calibres chronographes intégrés entièrement développés et manufacturés par Audemars Piguet (calibres 4404 et 4401).
Une montre précurseur
Dès les années 2000, l’influence de l’Offshore se fait ressentir au sein du catalogue d’Audemars Piguet, où les diamètres ne cessent d’augmenter pour suivre la tendance initiée par ce modèle hors-normes. Et si en 1972 la Royal Oak avait inauguré ce qu’allait être le sport-chic, il n’est pas exagéré de dire que ce modèle a joué un rôle prépondérant dans l’adoption des montres surdimensionnées par l’ensemble de l’industrie horlogère. Et les succès de Hublot et Panerai lui doivent sans doute quelque chose…
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![Audemars Piguet Royal Oak Offshore](https://www.lesrhabilleurs.com/wp-content/uploads/2024/10/audemars-piguet-royal-oak-offshore-15.jpg)
![Audemars Piguet Royal Oak Offshore](https://www.lesrhabilleurs.com/wp-content/uploads/2024/10/audemars-piguet-royal-oak-offshore-14-1920x1229.jpg)
Le laboratoire d’Audemars Piguet
En prenant du recul, on se rend compte que l’Offshore est plus qu’une Royal Oak sous stéroïdes. Il faut la voir comme un laboratoire pour Audemars Piguet. Une boîte à expériences, dans laquelle la maison du Brassus peut se permettre toutes les excentricités, en particulier pour les matériaux avant-gardistes, comme le carbone ou la céramique. Et l’on peut d’ailleurs remarquer qu’aujourd’hui, ce rôle est plutôt dévolu à la collection Royal Oak Concept, qui concentre dorénavant toutes les expérimentations techniques et esthétiques de la marque. Comme si l’Offshore était -enfin- rentrée dans le rang ?
Un grand merci à Thewatchlibrary.org, AP Chronicles et Europa Star pour leurs nombreuses archives
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