ZENITH EL PRIMERO La naissance d’une légende
Nous sommes au début des années soixante et la planète horlogère est en pleine effervescence, la R&D toujours plus poussée permet des innovations fondamentales, surtout depuis l’apparition de la montre poignet au début du siècle dernier : les remontages automatiques sont généralisés, les montres de plongée résistent à des profondeurs plus importantes, et de célèbres chronographes atteignent pour la première fois la stratosphère. Les horlogers font progresser nos chers garde-temps dans tous les domaines.
Une manufacture se distingue parmi les autres, attachée à la précision et à la robustesse de ces garde-temps : celle de George Favre Jacquot qui détient Zenith. Cette manufacture arrive à un tournant dans son histoire. En 1965 elle doit fêter ses 100 ans. Afin de laisser son empreinte dans l’histoire de la montre poignet, l’équipe travaille sur un nouveau calibre révolutionnaire dans le domaine des chronographes…
ZENITH EL PRIMERO : LA GENÈSE
Jusqu’alors les chronographes de montre poignet sont à remontage manuel. Des calibres de référence se distinguent avec notamment Longines et son calibre 13Zn et 30 CH, Lémania avec le calibre 321 et Excelsior Park et son calibre 40. D’autres manufactures célèbres comme Landeron et Valjoux complètent le paysage horloger des chronographes des années soixante. Néanmoins, la conjugaison automatique et chronographe ne fait pas partie du vocabulaire de ces manufactures – pour le moment….
Pourtant, la clientèle à cette époque est friande de montres automatiques avec leur rotor permettant d’économiser ce remontage quotidien pouvant être pesant pour certains.
C’est pour cela que Zenith choisit en 1962 de concevoir un calibre automatique révolutionnaire pour leur centenaire, Le El Primero, qui sera doté de caractéristiques classiques et sûres :
- Une roue à colonnes
- Une petite seconde, un totaliseur 30 min et un totaliseur 12h
- Une date dite rapide ou instantanée positionnée à 4h30.
On notera aussi deux autres exigences précisées lors de l’élaboration des spécifications :
- Un calibre de diamètre 30 mm et d’épaisseur contenue de 6.5 mm (5 mm pour un ETA 2824)
- Une réserve de marche de 50h, ce qui est élevé d’après les standards de l’époque.
Toutes ces caractéristiques seront intégrées dans le cahier des charges 3019 PHC.
Le groupe de travail se donne 3 ans pour livrer ce calibre aux ateliers de production. Mais le développement sera plus complexe que prévu. En cours de mise au point, l’équipe dirigeante choisit d’y ajouter une caractéristique supplémentaire afin de conforter Zénith dans sa quête de la précision : le chronographe battra à la fréquence de 5 HZ, soit 36 000 alternances par heure – un record déjà exploité par Longines et Grand Seiko.
Cette modification du cahier des charges originel 3019 PHC sera le sujet à de nombreux défis techniques. Par exemple, la lubrification nécessitée par le balancier requiert l’adoption d’un procédé spécial de lubrification à sec, afin que l’huile utilisée de façon classique ne soit pas projetée lors de la marche du calibre. La réserve de marche se trouve également impactée car cette augmentation de fréquence a pour conséquence de demander plus d’énergie au ressort moteur. C’est pour cela que la conception prend un peu de retard…
C’est donc en 1967 que les plans finaux se profilent et que la manufacture s’active autour de ce calibre remarquable. En parallèle dans le paysage horloger Suisse, un autre consortium s’attelle à la création d’un calibre chronographe à remontage automatique composé de Heuer-Leonidas, Dubois-Depraz et Hamilton-Buren. Ce dernier choisit de développer ce calibre à micro-rotor et assemblé d’un module chronographe.
Deux approches différentes se présentent pour résoudre l’équation complexe : la solution Zénith, de mon point de vue, propose un progrès technique car il s’agit d’un mouvement chronographe intégré. A la fois le mouvement supporte la fonction chronographe et l’intègre complètement au cœur de la fonction montre du calibre. De plus, cette solution permet d’optimiser la hauteur de mouvement. Les premiers chronographes de série possèdent ainsi une hauteur de 12.6 mm, ce qui est une épaisseur très contenue au vu des complication chronographe et remontage automatique.
ZENITH EL PRIMERO : LE LANCEMENT
Le El primero sera présenté en 1969 par Zénith et Movado, qui proposeront rapidement à la vente ces chronographes précurseurs. Afin de préserver les caractéristiques du mouvement, il est doté de 31 pierres, palier utilisé pour réduire les frictions entre les platines et les axes des différentes roues.
Une anecdote propre aux USA est à noter : cette nation souhaite protéger son patrimoine horloger et taxe ainsi les montres contenant plus de 17 rubis ! Néanmoins les performances et la fiabilité du El Primero n’en sont pas affectées, même dans la version pour ce marché avec deux fois moins de rubis. La construction du calibre prouve ainsi sa performance !
Néanmoins le succès de ce calibre est de courte durée et le spectre de la crise du quartz s’annonce…
En effet Zénith se fera racheter par une entreprise américaine en 1971 qui décidera de se tourner vers l’avenir. Par conséquent ils mettront un terme la production de montres mécaniques en 1975 au profit du quartz plus en vogue dans ces années de transition horlogère.
La direction de la manufacture prend donc la décision de se séparer des moyens de production des calibres mécaniques. Fort heureusement, un horloger du nom de Charles Vermot choisira de protéger et même de cacher les étampes et autres outils de production afin de les préserver de cette folie destructrice.
ZENITH EL PRIMERO : LA RENAISSANCE
Au début des années 1980, l’industrie horlogère se relève doucement d’une crise du quartz éprouvante. Depuis son rachat en 1978, Zenith reprend la direction des calibres automatiques, elle relance l’étude d’un calibre simple et fait l’inventaire de ces stocks et retrouve quelques ébauches du calibre El Primero non terminées. Pierre-Alain Blum, Président de la marque Ebel a eu vent par un intermédiaire suisse de la disponibilité de ces ébauches au sein de la manufacture étoilée. Néanmoins, Zenith a perdu une partie des qualifications et des outillages nécessaires à la fin de l’assemblage du chronographe légendaire. La manufacture se retourne alors vers Lémania afin de réaliser la fin du processus d’assemblage et de réglage.
En 1981 Ebel signe un contrat avec la manufacture pour la fourniture du mouvement El Primero 400 de son chronographe 1911. Que l’on retrouvera notamment au poignet de James “Sonny” Crockett dans Deux Flics à Miami.
Dans le même temps, Charles Vermot rend à la nouvelle gouvernance de Zenith les trésors cachés du passé. On retrouvera les outillages précieusement conservés et c’est ainsi que la production de ce calibre mythique pourra reprendre avec l’aide d’une manufacture genevoise de grande importance.
C’est ainsi que la marque à la couronne s’intéressera au El Primero : Rolex.
En effet, la clientèle du Cosmographe Daytona, bien que satisfaite du Valjoux 72 qui anime ses montres, souhaite l’arrivée d’un mouvement automatique. Rolex entreprend donc un sourcing externe pour son calibre chronographe automatique. Seul le El Primero répond aux caractéristiques d’encombrement recherchées par la marque à la couronne. Rolex travaille le El Primero de façon profonde, notamment par l’adoption d’une fréquence moins élevée et par le perfectionnement du remontage automatique. Mais cela est une autre histoire…
Dans les années 1980-1990, Zenith utilisera ce mouvement pour son propre compte et lui ajoutera des complications très pertinentes : l’affichage du jour, de la date et de la phase de lune (vue sur la très rare référence Espada Luna de 1971).
Une autre complication très appréciable apparaît grâce à l’armée française, qui communiquera un cahier des charges nécessitant la réalisation d’un calibre flyback. Ce dernier sera commercialisé uniquement pour le marché civil, sous l’appellation Rainbow, nom d’un célèbre voilier vainqueur de la coupe de l’America en 1934.
D’autres innovations suivront : les complications réserve de marche, grande date et bien sûr une version open heart demandée à l’époque par Thierry Nataf a la tête de Zenith. Pour moi, ces dernières versions apportent une vraie touche moderne à ce calibre de légende.
La modernité se poursuivra jusqu’en 2021 où nous avons le plaisir de découvrir une descendante de l’A386 dotée d’une nouvelle complication : l’affichage du 10ème de seconde via l’aiguille centrale. Complication pertinente que Zenith intégré à ce calibre qui prend un nouveau souffle avec l’ajout du stop seconde et d’une nouvelle disposition de compteurs. Cette présentation est déjà vue dans les années 2010 sur la référence Striking avec une boîte de 42 mm, mais cette fois-ci, elle sera placée dans le boîtier original de 1969. La boucle est bouclée.
Une épopée formidable pour ce calibre qui reste remarquable même aujourd’hui à mon sens, de part ces caractéristiques, sa compacité, sa bonne construction. Sa réserve de marche et sa précision rendent hommage à ce savoir-faire helvétique que j’apprécie tant.