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Miles Davis Et la naissance du Cool

Si mon premier article pour Les Rhabilleurs avait pour sujet l’élégance nonchalante de l’immense pianiste de jazz Bill Evans, j’y abordais également celle de Miles Davis, le trompettiste génial qui fut parfois autant plébiscité pour son style que sa musique. Quand GQ lui attribuait le titre de « musicien le plus élégant — ever », Esquire préféra le nommer parmi les 75 hommes les mieux habillés de tout les temps. On en oublierait presque sa musique, qui pourtant nous permet de mieux comprendre le personnage. A travers le New-York des années 50, mais aussi le Paris de Boris Vian, voici le portrait d’une icône.

L’influence des origines

Comme pour mieux porter leur musique, les artistes ont presque toujours retranscrit dans leur style vestimentaire les émotions et les messages chantés par leurs instruments, qu’ils soient conservateurs ou révolutionnaires, conformistes ou romantiques. L’habit white tie du chef d’orchestre ou les jeans déchirés de Kurt Cobain. Miles Davis n’échappe pas à la règle. Observer sa façon de s’habiller, les matières, les nuances, c’est commencer à écouter sa musique.

Né en 1926 dans la petite ville d’Alton dans l’Illinois, Miles Davis sera très vite influencé par deux composantes de son entourage familial. Tout d’abord, il grandit dans une famille mélomane : sa mère est pianiste et violoniste, son frère et sa soeur son musiciens également. C’est un ami de son père qui, en offrant à Miles sa première trompette à l’âge de neuf ans, provoquera le destin du jeune garçon. L’autre aspect intéressant est le milieu aisé duquel est originaire Miles Davis. Il fréquente des écoles plutôt privilégiées, et à une époque à laquelle la ségrégation raciale divise l’Amérique, il grandit dans une relative mixité.

D’un point de vue vestimentaire, cela le poussera à s’approprier le fameux style Ivy League, originellement porté par les WASPs des universités prestigieuses de la côte Est américaine. Une esthétique qui peut nous sembler très conventionnelle, mais qui cache en réalité une rupture avec un formalisme très présent avant-guerre. Comme pour son expression musicale naissante, il reste dans donc un registre relativement sobre et subtil, fait de cravates club et de chemises Oxford à col Button down. Mais déjà sur les photos du jeune Miles, on devine une forme de décontraction, de fraicheur, et d’anticonformisme dont on reparlera plus loin.

Less is More

En 1944, Miles a 18 ans. C’est l’année où tout s’accélère. Suite à ses rencontres avec Charlie Parker et Dizzie Gillespie, il déménage à New York, s’inscrit à la prestigieuse Juilliard School, et perfectionne son art. Prenant le contrepied du style virtuose et complexe de l’époque — le fameux Be-Bop —, il va plus loin encore dans son jeu éthéré, précédant de plusieurs décennies l’engouement pour le mouvement artistique Less is More. Aux artifices complexes il préfère donner à chaque note sa place, et sa place aux silences. Moon Dreams, publiée sur son premier album en 1948 en est la plus sublime des illustrations. Paul Tanner, célèbre tromboniste contemporain de Miles dira : « Quand les solos de Gillespie et ses comparses pourraient être comparés à un rouge vif, ses sonorités pourraient être comparées, elles, à des couleurs pastels ». Et encore une fois, on lit cette même tendance dans son style. Les pastels, Miles les joue et il les porte.

Quand Charlie Parker affectionne les cravates psychédéliques et les motifs prononcés, lui préfère une élégante sobriété, emprunte de culture est-américaine : il aime les vestes à poches plaquées Brooks Brothers, marque emblématique du style Ivy, également prisée par Bill Evans d’ailleurs, on le voit en seersucker au festival de jazz de Newport en 58, il se fait faire quelques costumes chez un tailleur, privilégie le bleu marine, le beige, et donc, les pastels. Ses passages à Paris et sa proximité avec le milieu Germanopratin développeront plus encore chez lui cette nonchalance, ce cool, à l’image de son jazz. Un trait de caractère qui deviendra totalement indissociable de l’homme, de son style, et de sa musique. Il restera pour beaucoup d’ailleurs — avec Steve McQueen et James Dean — le plus beau représentant de cette forme de détachement qui contribue beaucoup à l’élégance, qu’elle soit musicale ou vestimentaire. C’est probablement là son héritage le plus important.

La rupture permanente

Jusqu’à la fin des années 60, Miles Davis restera dans l’ensemble fidèle à cette esthétique qui a forgé sa réputation de star internationale. Mais en 1968, à la suite de sa rencontre avec Jimmy Hendrix — et surtout de sa musique —, il décide de remettre en cause tout ce qui a fait son succès jusque là. Fini le cool jazz et le hard-bop, qui avaient apporté en leur temps un souffle nouveau, Miles a quelque chose de plus révolutionnaire en tête, quelque chose qui portera bientôt le nom de fusion jazz.

Pour la première fois de son histoire, la jazz s’affranchit des instruments traditionnels — batterie, contrebasse, piano, trompette, saxophone — et va intégrer des guitares et claviers électriques, pour finalement brancher également la trompette. La structure thème/solo/thème elle-même est remise en cause. Les succès fracassants des albums In A Silent Way (1969) et Bitches Brew (1970) marqueront l’avènement d’une ère nouvelle. Pour son style également s’ouvre une ère nouvelle. De la même façon que sa musique a rejeté une structure traditionnelle, il va rejeter ce qui a fait son élégance jadis, vestes, cravates, et understatement.

Durant les vingt années suivantes, jusqu’à sa mort en 1991, il ira sans cesse plus loin, passant des pantalons en patchwork de peau aux vestes lamé or, des lunettes de soleil oversize aux manteaux de fourrure, laissant septiques bon nombre de ses contemporains. Les designer japonais Kohshin Satoh et Issey Miyake lui permettront d’exprimer une certaine créativité très contemporaine voire futuriste, parfois conceptuelle et difficile à saisir. Peut-être avait-il compris, avant les autres encore une fois, l’importance du vêtement pour forger sa légende. Ou était-ce une expression du fameux « plaisir aristocratique de déplaire » de Baudelaire ? Quoiqu’il en soit, à défaut de retenir cette période comme la meilleure de cette homme devenu icône de mode, elle aura au moins été celle où toute la force visionnaire de cet artiste génial aura pu s’exprimer, tant dans la musique que dans le style, et qui résonne encore aujourd’hui, 30 ans après.

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