Réflexion : Quel serait le “vrai prix” d’une montre ?

Réflexion : Quel serait le “vrai prix” d’une montre ?

Ce contenu a été mis à jour le 02/05/2020

Alors que nous sommes (pour la grande majorité) chez nous, quoi de mieux que de remettre au goût du jour cet article sur le “vrai prix” d’une montre ? Un article dont le seul et unique but est de mieux comprendre tous les aspects qui rentrent en jeu depuis l’idée d’une montre jusqu’au service après-vente de celle-ci.

Une question récurrente et bien complexe à laquelle les réponses sont nombreuses. Une question qui déchaîne souvent les passions et qui est même devenue l’argument (fallacieux) préféré de nombreuses micro-marques prônant la transparence absolue et la commercialisation de “montres de luxe abordables”. Please stop.

Il est vrai cependant que ce que chacun d’entre nous entend par “vrai“, par “prix” et surtout par “montre” varie considérablement selon nos goûts, nos moyens, notre expérience et notre connaissance du produit et du marché. Il n’est donc pas surprenant que lorsqu’on associe ces trois notions en une seule et même question, les réponses soient non seulement variées, mais surtout très éloignées.

Comme d’habitude, nous n’aurons pas aujourd’hui la prétention de faire intégralement le tour de la question, mais plutôt d’en poser des nouvelles, de donner un avis et d’apporter certains angles d’attaque afin que nous puissions tous affiner nos réflexions, construire nos prises de positions et surtout nous rendre compte de ce que nous aimons réellement et pouvons acquérir… il y a un peu de travail.

La notion de prix et de ce qui est “vrai”

D’entrée de jeu, une vaste question qui mérite ses propres éléments de définition. Nous l’avons déjà vu, il est important de ne pas confondre prix de vente et coût de revient. Cela reste d’ailleurs vrai lorsqu’on sort de l’horlogerie. Entre les deux : la marge.

Pour essayer de faire concis sans prendre de grossiers raccourcis, il est à mon avis surtout important de bien comprendre la chose suivante : le coût de revient d’une montre ne se compose pas uniquement du coût des matériaux utilisés, ni ne se construit en additionnant les coûts de fabrication unitaires d’un mouvement, d’une carrure, d’une lunette, d’un fond de boîte, d’une couronne, d’un cadran, d’un jeu d’aiguilles et d’un bracelet. Ce serait bien trop simple.

En premier lieu apparaît une idée. Qu’elle sorte directement de l’esprit d’un génial designer, où qu’elle soit le fruit d’une réflexion stratégique (le designer étant tout de même essentiel), tout commence par une franche dose de matière grise et de coups de crayons sur papier, ou ordinateur. On pense évidemment au design d’un boitier, d’un cadran et généralement de tous les éléments qui constituent la montre, mais il faut aussi songer à celui du mouvement. Allons-nous nous reposer sur un mouvement existant ou faut-il en imaginer un nouveau ? Autant de temps et de démarche indispensables à prendre en compte.

De ces premières réflexions la question de la faisabilité prend tout son sens. Et nourrit pendant quelques temps l’esprit de ceux en charge du projet.

Il faut ajouter à cela le coût du travail des ouvriers et dans certains cas extrêmes des maîtres horlogers qui fabriquent ces montres. Lorsqu’une seule et même personne, extrêmement qualifiée, passe un an de sa vie sur votre carillon Westminster, cela change rapidement la donne. Heureusement pour nos économies, ce cas de figure n’est pas le plus répandu.

Les coûts de développement d’un (éventuel) calibre de propriété et des frais de recherches associés à la création d’une montre, dont je vous parlais juste avant, qui s’élèvent rapidement à plusieurs centaines de milliers d’euros sont évidemment des coûts qui devront aussi être absorbés par la vente de montres, source de revenue de l’entreprise horlogère. Rapportez ces coûts sur un million de montres et tout va plutôt bien. Faites le supporter à quelques centaines voir milliers de pièces et vous comprendrez que deux montres, même d’apparences très similaires, ne peuvent avoir le même prix.

N’oublions pas non plus, évidemment, les coûts de communication et de marketing, plus nécessaires que jamais à une marque pour ne pas se faire oublier. Vous savez, cette part de rêve qui fait qu’on ne vend plus seulement une montre, mais aussi un symbole d’appartenance à une histoire, à un univers ou un symbole de réussite auquel le client final souhaite s’associer ?

C’est en réalité ce que recherche la grande majorité des gens qui achètent “de belles montres”. 90% d’entre nous (et je suis tendre dans l’estimation) ne souhaite pas vraiment y lire l’heure et ne s’extasie ni devant un dessin réussi, ni devant des proportions équilibrées. Encore moins devant la patine homogène d’un cadran, soyons réalistes.

Et enfin, bien sûr parce que la politique de prix et le positionnement adoptés par les marques sont totalement libres et arbitraires. Ils sont choisis en fonction d’un public cible. Lorsque ce dernier recherche avant tout l’exclusivité d’un produit cher et voyant qui lui permettra d’être identifié sur Instagram comme un être profondément épanoui, alors les limites disparaissent.

Si nous acceptons cela, il sera dans un instant bien plus simple de prendre un peu de recul et de comprendre le prix de certaines pièces.

Qu’entendons-nous exactement par “montre” ?

Là aussi, il y a des nuances qui partent dans toutes les directions et le dictionnaire ne suffit plus. Je pense très sincèrement que ce que chacun met dans sa catégorie “montres” dépend très majoritairement de ce qui lui est familier et de ce qu’il connaît.

L’un verra, dès petit, son grand-père le faire sauter avec tendresse sur ses genoux, Nautilus 3700 au poignet. Un autre ne connaitra que les montres à quartz vendues sur un marché pour quelques euros et n’en sera pas forcément plus malheureux. Tout va bien, même s’il est évident que nous ne naissons pas tous égaux. En horlogerie non plus.

Nous revenons donc encore une fois au même point de départ : on construit son degré d’appréciation en fonction de ses connaissances et de ses références. Voilà qui est évidemment toujours valable une fois sorti des frontières de l’horlogerie.

Nous sommes tous différents. Nos parcours, et nos références diffèrent, nos centres d’intérêt aussi et il est donc évident qu’on ne peut pas tous avoir le même regard. Ce serait d’ailleurs bien triste et bien pauvre. La bonne nouvelle cependant est qu’aujourd’hui, si l’on souhaite s’intéresser à l’horlogerie, les accès à l’information, aux rencontres et aux discussions n’ont jamais été aussi aisés. Il est donc libre à tout un chacun, en faisant ses devoirs, de construire étape par étape sa propre définition de ce qu’il souhaite porter au poignet.

Les décalages qui blessent et qui irritent…

Je vous entends, je vais donc m’attaquer à la question des cas de figure qui fâchent : celui du décalage trop important qui intervient entre un prix de vente et un niveau de qualité perçu par celui qui aime le produit pour ses qualités intrinsèques ; ou la constatation du prix inaccessible de ce que l’on désire qui crée de la frustration. Car c’est bien dans ces conditions que la question du “vrai” prix d’une montre fâche et refait généralement surface.

Cas de figure numéro un : les années passent, les prix augmentent et vous vous rendez compte que la qualité de ce que vous connaissiez n’est non seulement plus ce qu’elle était, mais qu’en plus, pendant ce temps là, les prix ont augmenté de manière exponentielle. Triste constat. Vous aimez les montres pour leur histoire, leur esthétique, leurs proportions et leurs finitions et ne trouvez donc plus en cette production, matière à nourrir vos aspirations. Désintérêt. La marque ne résonne plus en vous comme elle le faisait, l’image se ternit.

Petite précision : l’image se ternit à vos yeux mais ça ne signifie pas pour autant que l’entreprise va mal. Bien au contraire, elle enregistre peut-être des bénéfices records. Tout le monde est content.

Cas de figure numéro deux : vous aimez et désirez profondément cette montre qui représente tout ce que vous aimez et ce que vous aspirez à être. Problème, elle coûte 40.000€, un prix que vous n’êtes pas disposé à payer malgré toutes ses qualités. Je comprends, j’ai d’ailleurs plusieurs exemples en tête. Frustration. Mais sincèrement, si vous aviez 40.000€ à mettre dans une montre sans que cela ne nuise dramatiquement à l’éducation de vos enfants ou à l’achat de cet appartement,  cela vous dérangerait-il vraiment ?

Se pose alors une nouvelle question très personnelle : celle de se demander en toute honnêteté les raisons de cette envie. Est-ce exclusivement par admiration d’un travail horloger abouti, par amour du beau et par reconnaissance du génie de la main de l’homme ? Ou est-ce au contraire davantage par envie d’appartenance à une élite, à un groupe qui s’identifie avec ses pairs comme détenteurs de ces objets ?

Ce ne sont pas les mêmes motivations et la frustration passagère se guérira bien plus simplement dans la première configuration. Un esthète n’a en effet pas vraiment besoin de posséder pour apprécier, même s’il apprécierait parfois posséder… 

Conclusion

Malgré toutes ces nuances à prendre en compte, le “vrai prix” d’une montre est une vaste question à laquelle j’ai envie de répondre très simplement ainsi :

“Le “vrai prix” d’une montre, comme celui de toute chose, n’est jamais que celui du prix que certains sont prêts à payer et les efforts qu’ils sont prêts à concéder en vue de l’acquérir.”

Il dépend donc largement des revenus de chacun. Quel est donc le vrai prix du Daytona de Paul Newman ? 15,3 millions d’euros aujourd’hui, sans doute plus demain. Et le vrai prix d’une montre chinoise à la boîte en aluminium, frais de ports inclus ? 15€. Le coût de fabrication du chronographe Rolex n’est pourtant pas un million de fois supérieur.

L’horlogerie, la haute-horlogerie en particulier est une industrie à forte valeur ajoutée où beaucoup de marques appartiennent aujourd’hui à des groupes de luxe. Et à leur décharge, leur place n’est pas non plus aisée. Pour qui produire ? Produire pour les esthètes et les connaisseurs qui consomment moins et ne renouvellent pas forcément leurs actes d’achat, et peut-être se mettre en difficulté ?

Ou au contraire vendre plus et plus cher en produisant pour ceux qui consomment, se sentent exister lorsqu’ils dépensent et reconnus lorsqu’on identifie en un clin d’oeil les sommes folles dépensées dans des accoutrements qu’ils remplaceront avant la tombée de la nuit?

Un choix cornélien qui éloigne facilement rentabilité économique et voix du coeur, survie d’une entreprise et amour de l’art. Bien sûr, entre ces deux extrêmes, il y a des options.

Tout ça pour dire qu’en définitive,  ce n’est vraiment pas si simple. What did you expect?

Evidemment, pour les vrais amateurs d’horlogerie, d’histoires et de designs iconiques, grand nombre de très belles pièces sont aujourd’hui devenues inaccessibles, du côté du neuf comme de l’ancien. C’est la vie, il est temps de s’en remettre. De toute manière il n’y a jamais eu de luxe abordable, simplement parfois les avantages d’une époque sur une autre.

La vraie bonne nouvelle est que notre époque a évidemment aussi ses opportunités ! De nombreuses pièces méritent toujours d’être (re)découvertes et d’autres attendent d’être créées. Alors qu’attendons-nous exactement ? Il suffit de retourner faire ses devoirs au lieu de se plaindre, ou mieux encore de prendre le taureau par les cornes et dessiner de toute pièce celle qui deviendra peut-être la nouvelle icône du demi-siècle prochain.

Qu’en pensez-vous ? Je ne sais pas vous, mais c’est un programme qui me paraît tout de même très réjouissant…

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