Haute-horlogerie et vente en ligne : Ce n’est plus incompatible
Le monde de l’horlogerie s’est profondément transformé ces dernières années, c’est un fait. Le numérique et ses écosystèmes en sont évidemment les premiers responsables, et demandent à un monde horloger de changer et de s’adapter même si évidemment, tous les acteurs ne réagissent pas de la même manière et pas en même temps.
Aujourd’hui, intéressons-nous plus particulièrement aux sites de vente en ligne que vous avez probablement dû voir émerger ça et là, venant directement des grands groupes et grandes marques qui dominent cet écosystème horloger. Ils rendent aussi compte des changements profonds qui s’opèrent dans le secteur.
–
Horlogerie et numérique
Vous le savez mieux que moi, si le changement est source d’opportunités, il est aussi pour beaucoup toujours encore source de troubles. Tout en nuances et en relativité, certes, mais le changement, d’un point de vue strictement personnel ou même structurel est à prendre au cas par cas.
Ainsi, le monde de l’horlogerie et ses acteurs faisaient, et font encore parfois, figure d’irréductibles Gaulois, qui face à l’assaut et à l’importance de ces nouvelles plateformes et nouvelles façons de faire du commerce préfèrent conserver le même cap. Certaines maisons ont longtemps pensé que leur notoriété et leur prestige étaient suffisants pour ignorer ces changements, mais l’on voit que petit à petit, l’une après l’autre, elles évoluent vers d’autres considérations. Il serait vraiment dommage de réagir aujourd’hui de la même manière qu’à l’arrivée du quartz il y a plus de quatre décennies.
Nous ne couvrirons pas pour l’instant tout le chemin parcouru, notamment la base, celle d’avoir un beau site internet, des pages Instagram et Facebook soignées où information et contenu de qualité abondent. Nous allons aujourd’hui parler des sites E-commerce qui arrivent enfin en ligne, car il s’agit bien de l’un des grands mouvements de cette fin d’année, presque passé inaperçu…
Horlogerie et e-commerce
Les américains achètent leurs voitures sur internet, c’est une chose que l’on observe de plus en plus aujourd’hui.
Mais nous français n’en sommes pas encore arrivés là. Certains d’entre vous pourraient, ou ont déjà, dépensé des sommes importantes en effectuant des achats en ligne. Plusieurs éléments rentrent en ligne de compte quand il s’agit d’effectuer un achat en ligne quand nous avons à faire à des sommes plus importantes.
Tout d’abord la question de la confiance. Rien de plus logique lorsqu’on souhaite acquérir une pièce à 5000€. La peur de rentrer un moyen de paiement pour une somme pareille, la crainte permanente d’être sur un mauvais site ou site de “fishing” ou simplement de se faire pirater sa carte par des petits malins. La méfiance nous caractérise et elle est aussi légitime.
Le deuxième point se rapporte à l’expérience. En effet, un grand nombre d’entre nous éprouverait de grandes difficultés à acheter en ligne une montre qu’il n’a pas eu l’occasion de voir, d’essayer et de toucher, tout en recevant les conseils d’un “expert”. Ce qui ici encore est légitime.
Laissez moi donc prononcer le mot magique de “Cross Canal”. Il y a quelques années, vous aviez peut-être entendu parler de “Multicanal”, pour signifier qu’une marque utilise différents canaux de contact et de commercialisation envers ses clients et prospects. Un terme permettant une segmentation des points de contact et ainsi une meilleure gestion de chacun pris dans ses particularités.
Le multicanal entendait que chaque canal était indépendant des autres canaux. Le cross canal sous entend au contraire que les passages et rapports sont nombreux aujourd’hui entre les différents canaux qui composaient autrefois le multicanal. Mais puisque des illustrations valent mieux que des mots parfois, laissez-moi illustrer tout cela.
Louis, 29 ans, jeune cadre, va fêter ses 30 ans dans quelques mois. Il se ballade sur son fil d’actualité Instagram et entre deux comptes amis, voit défiler une IWC Portugaise.
Il avait déjà entendu parler de la montre par un des ses meilleurs amis mais l’émotion et l’envie se matérialise aujourd’hui : il se rend donc en ligne et fait ses devoirs sur différents sites référents pour en apprendre davantage. Une crainte persiste pourtant : il a peur que la montre soit trop grosse pour lui. Direction la boutique rue de la Paix afin de la passer au poignet. Et de se rendre compte à cette occasion de la diversité des cadrans qui existent. Ça sera cadran bleu pour lui qui ne s’habille principalement qu’en gris et navy. Mais vu que ses parents et tous ses amis insistent pour la lui offrir avec leur cagnotte, l’achat se fera simplement en ligne.
Voilà pour le cross canal. Pour aller du point A, la stimulation et l’envie d’acquérir la montre, jusqu’au point B, l’achat de la montre, il aura fallu impliquer un compte Instagram, un ami, des média spécialisé, une boutique de marque et enfin le site e-commerce de celle-ci. Vous remarquerez que tous les canaux sont plus ou moins liés.
Je parlais justement à titre de hasard d’une IWC Portugaise parce que tout le monde la connaît. Et je propose que nous prenions comme exemple le site e-commerce d’IWC. IWC a présenté sa nouvelle plateforme de e-commerce il y a tout juste quelques mois. Rien d’étonnant quand l’on voit que la marque avait aussi proposé à la vente ses montres sur MR. Porter quelques mois plus tôt, comme d’autres marques du groupe Richemont.
Vous pouvez donc aujourd’hui “Ajouter au panier” des montres IWC directement à partir de leur site, où en passant par leur compte Instagram. Toutefois, pour des pièces aux prix “importants” et où les stocks sont plus tendus, l’achat passera par l’appel à un concierge qui facilitera l’achat par téléphone. Plus humain et personnalisé.
Ce service fonctionne exactement comme un service boutique, mais en ligne. Vous savez, comme ces magazines qui ne s’impriment plus sur papier mais qui se consultent directement et gratuitement… en ligne ? Une fois la montre reçue, vous pouvez la renvoyer sous 14 jours pour tout motif, à condition évidemment de la renvoyer comme vous l’avez reçue. Sans oublier la possibilité de faire réaliser une gravure au dos de celle-ci.
La possibilité de venir chercher la montre en boutique existe également, pour ceux qui souhaiteraient tout de même bénéficier d’une “once” d’expérience en boutique. Pratique pour réserver une pièce lorsque les stocks sont comptés ou les éditions limitées.
–
Le luxe en général, l’horlogerie en particulier, a longtemps fait preuve d’un certain snobisme envers la vente “sur internet”. Peut-être par crainte de ne pas être en mesure de proposer une expérience assez qualitative à l’image de leurs maisons ? Peut-être. Une réflexion qui aura pris du temps mais une démarche qui semble aujourd’hui bien amorcée. Il serait en effet bien dommage de se priver non seulement d’un moyen de toucher sa clientèle et de générer des ventes n’importe où dans le monde, 24h/24, pour qui dispose d’une connexion internet. Nous ne rentrerons pas ici dans le détail des marges générées par ce mode de distribution, mais bien évidemment, elle n’est à partager avec aucun détaillant.
C’est bien là que se trouve le challenge actuel, celui de trouver un point d’équilibre entre ventes en ligne et une distribution classique via un réseau de bijoutiers / horlogers qui supportent les marques depuis des décennies et immobilisent chaque année des fortunes de trésorerie. Comment maximiser l’un sans vexer ou perdre les autres ? Bonne question.
Une alchimie que chacun devra trouver, à sa manière. Si certains y voient une opposition, je pense sincèrement que les deux peuvent cohabiter, elles le doivent même. Il faut savoir vivre et évoluer avec son temps. Un processus d’achat est aujourd’hui long, sinueux et de plus en plus difficilement identifiable : c’est vrai. Il n’y a pourtant jamais eu autant de points de contact possibles avec des audiences extrêmement qualifiées qu’aujourd’hui. Les opportunités sont bien là…
Sujet brûlant ! Comment peut on être fournisseur et à la fois vendeur sans court-circuiter son propre réseau de distribution qui pendant des années a été l’ambassadeur de votre marque ou de vos produits. Ça me rappelle comme Sony France a laché son réseau de spécialistes qui ont donné les lettres de noblesse à cette marque. Sony était considérée comme une marque haut de gamme, puis petit à petit, une penetration de 20 % en grande surface, puis un équilibre à 50/50 avec les spécialistes, les grandes surfaces sont passées à 80 % puis disparition presque totale des spécialistes. La marque Sony s’est banalisée, a perdue des parts de marché de ce fait, mais aussi en poursuivant de mauvais choix stratégiques ( refus du Mp3, du Dvix, VHS…), voulant à tous prix imposer des formats boudés par les consommateurs qui sont vite passés à la concurrence.
Se faire bananer par Apple sur le terrain du Walkman, idem pour la téléphonie et enfin après avoir méprisé et dénigré dans les différents congrès et salons le Koréen Samsung, se faire laminer sur la télévision Lcd. Dans le même temps, des marques comme Chanel ou Guerlain, n’ont jamais cédée aux sirènes des grandes surfaces. Daniel Hechter est quand à lui passé de la parfumerie à la grande surface, rangé à côté du Mennen après rasage à 15 euros les 100 ml. Les choses évoluent encore avec internet, des marques imposent la distribution sélective, faisant le ménage dans son réseau de distribution, bloquant par la même occasion la véritable liberté des prix, et dans un même temps distribuent sur leurs beaux sites Web les mêmes produits qu’à leurs distributeurs. Certaines marques concurrencent ouvertement leurs revendeurs en proposant des remises, des financements et bien d’autres artifices. Si les revendeurs acceptent cette concurrence déloyale, ils courent à leur perte. Regardez bien autour de vous, ce qu’internet à détruit comme commerce, car le facteur numéro 1 sur la toile, c’est le prix. Imaginez, un flacon Chanel n°5, eau de parfum 100 ml à 15 euros ! Le produit devient banal, tout le monde le met… Le rêve est détruit. Une grande marque doit être présente sur le net, c’est indispensable, elle doit présenter sa gamme avec de belles photos, des vidéos, du rédactionnel, de l’interaction… Elle ne doit pas vendre pour ne pas être en conflit avec son réseau de distribution, qui sera le meilleur représentant pour faire la vente, pour fideliser, pour assurer une prise en main, pour le Sav et bien d’autres choses.
Pour finir, une marque qui cède aux recommandations des experts comptables n’a rien compris à la vente, licencier ou détruire des Commerçants et le tissu économique d’une ville ne mène pas très loin. Pour moi, je ne m’extasie pas devant un patron qui licencie des milliers de personnes pour relever son entreprise, je serai en admiration devant celui qui pérennise une entreprise en sauvegardant l’emploi. Voyez ce que les banques sont devenues, à force de remplacer des personnes par des automates, à force de ne plus être au service des usagers, et bien, des acteurs comme banque direct ont fait leur apparition. On est pas si loin que ça dans l’horlogerie, Code41, ça vous parle. Je n’ai pas l’expertise de vos experts, j’ai juste 25 années de commerce en tant que chef d’entreprise, et le conseil que je vous donne est : en voulant trop gagner, on hasarde de tout perdre ! Un certain Jean de la Fontaine 😉
Votre analyse est percutante de bon sens. Je suis expert comptable mais je ne suis pas adepte de la mise à mort de nos tissus économiques car c’est bien ce qui est entrain de se produire.