ETA, Valjoux & Co : Peu importe le calibre, tant qu’il y a l’ivresse

ETA, Valjoux & Co : Peu importe le calibre, tant qu’il y a l’ivresse

Petite mise au point suite à de nombreux échos traînant dans la boue de fidèles compagnons mécaniques produits par la confédération helvétique. Certains “amateurs” d’horlogerie, jeunes ou moins jeunes qui débutent apparemment sur ce long, périlleux mais merveilleux chemin qu’est celui de l’apprentissage horloger, sont en effet de plus en plus rapide à “expertiser” des pièces à coup de “pour du ETA?”, “un Valjoux à ce prix là?!” et autres commentaires affutés débutant souvent par “lorsqu’on connaît le prix d’un mouvement Sellita”.

Minute papillon ! Prenons d’abord un instant pour revoir ensemble quelques bases qui changeront, je l’espère, ce jugement hâtif et rétabliront tout le respect que l’on se doit d’avoir pour ces vieux sages avant que les amateurs de demain ne se transforment en enfants gâtés qui refusent de goûter la ratatouille de mamie car elle n’y a incorporé aucune espuma d’algues wakame, fève tonka ni zeste de yuzu…

Parce que plus c’est simple et plus on a de recul, plus c’est fiable

Parce que simplicité est souvent gage de pérennité, pour une raison évidente : plus un mouvement devient complexe et plus nous y ajoutons de probabilités de dysfonctionnement. Cet équilibre complexe composé de roues, de pignons, de micro vis, d’un barillet et d’un spiral est en effet un écosystème fragile auquel on demande beaucoup : fonctionner en continu, sans repos, afin de toujours nous donner l’heure exacte. Ce n’est pas rien.

Ensuite parce que l’architecture de ces tracteurs, qu’ils soient à remontage manuel ou automatique, est éprouvée depuis déjà de nombreuses décennies. Si les plus grandes marques les ont choisis pour équiper leurs montres-outils pour lesquelles la fiabilité était la notion maîtresse du cahier des charges, ce n’est pas par hasard.

Ils sont robustes et on peut leurs faire confiance. Deux qualités qui méritent rien qu’à elles deux déjà beaucoup de respect. D’autant plus lorsqu’on sait que l’industrie horlogère à toujours fait appel à des fabricants de mouvements et que l’utilisation de calibres “génériques” n’a jamais été une insulte jusqu’à l’appropriation marketing du concept de manufacture…

Parce qu’on saura le réparer demain

La relative simplicité de ces “tracteurs” garantie également une tenue dans le temps incomparable. Pour la simple et bonne raison qu’ils sont déjà présents depuis une cinquantaine d’année, voir bien plus pour certains, et partie intégrante de l’apprentissage de tout horloger. La profusion des pièces disponibles facilite également grandement l’entretien de ces mouvement et les délais de réparation. Que du bonus.

Parce que le coût d’un calibre ne fait pas le prix de la montre

Il est à mon avis très important de comprendre, avant tout jugement de valeur, que le prix d’un composant, mouvement y compris, ne fait pas le prix de la montre. Le cours de l’acier ne définit après tout pas la valeur d’une Royal Oak, ni celui du sucre brut celle d’un Mont-Blanc de chez Angelina.

C’est exactement pareil. Une  vieille Tudor Submariner utilise le même mouvement ETA 2824 qu’une Longines Legend Diver, une première génération de Tudor Black Bay ou Ranger ainsi qu’un grand nombre de montres Sinn, Stowa, Certina et bien évidemment beaucoup de marques du Swatch Group aussi bien que des micro-marques.

Ces calibres sont d’ailleurs disponibles en différentes finitions et réglages allant jusqu’au chronomètre. Cela confirme donc que la performance dépend donc moins du calibre de ce que l’on en fait, de l’attention portée au réglage et à l’emboîtage et au contrôle qualité de la chaîne de production.

Parce qu’il y a horlogerie & haute-horlogerie

Si l’on critique ces vénérables tracteurs pour leur simplicité et leur manque de décoration malgré leur robustesse et fiabilité, c’est une remarque que j’entends. Elle est d’autant plus fondée pour celui qui a déjà eu la chance d’admirer et même de posséder une pièce de haute horlogerie de chez A. Lange & Söhne, Patek Philippe et autres grandes manufactures que l’on connaît.

Ce n’est pas la même chose et il est complètement insensé de les mettre en compétition tant l’approche dans la création d’un calibre développé pour l’armée et celui d’une grande complication qui sert de support à l’expression d’un artisanat d’art ne sont pas comparables.

Conclusion

Tout comme la même tomate, qu’elle soit travaillée par un chef étoilé et servie dans un lieu incroyable et raffiné ou fourrée dans un kebab à Châtelet à 2h du matin n’aura pas la même saveur, toutes les montres qui utilisent les même calibres ou les même bases ne se valent pas non plus.

Le temps passé au développement, les caractéristiques de la boîte qui viendra accueillir ce mouvement, évidemment les finitions et matériaux utilisés ainsi que la communication mise en oeuvre pour se faire connaître et pour nous faire rêver sont autant d’éléments qui rentrent en compte dans la construction du prix d’une montre.

De cette manière, le même Valjoux 72 pourra se retrouver très légitimement dans un Rolex Daytona à 150.000EUR, un Nivada Chronomaster à 3.000EUR ou la montre de votre voisin horloger que ce dernier aura assemblé avec des composants génériques achetés sur Ebay pour moins de 500EUR. J’imagine que vous comprenez aisément qu’il s’agit tout de même de montres très différentes.

Pour toutes ces raisons simples que j’espère avoir su traduire avec parfois plus ou moins de tact, il convient donc sans doute de réfléchir un peu plus avant de s’offusquer du prix d’une montre ou de la “banalité” d’un mouvement. Non ? 

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