Kickstarter : symbole d’un malaise horloger ?

Kickstarter : symbole d’un malaise horloger ?

Kickstarter : une plateforme de crowdfunding révolutionnaire, accélératrice de Business comme peu d’autres. On en rêvait. Ils l’ont fait. Et on apprécie. Mais… parce qu’il il y a toujours un « mais », qui dit fort engouement, dit également quantité innombrable de déchets. On y vient.

Nous tenons à nous excuser par avance de certaines prises de positions qui vont suivre. Nous en avons gros sur le coeur et serons par conséquent aujourd’hui, beaucoup moins dans la mesure que d’habitude. Âmes sensibles s’abstenir…

Prenons dans notre cas de figure deux projets que nous avons suivi de près et qui ont rencontré un fort succès auprès des internautes : « Filippo Loreti » et « Goldgena Project » afin d’illustrer notre propos.

La catastrophe « Filippo Loreti »

Le cas Filippo Loreti (voir ici) est une réussite stupéfiante. Non, pardon, inquiétante.

Comment cette « marque » a t’elle pu lever plus de 4,8 Millions d’euros de commandes avec des produits de la sorte ? Essayons de comprendre…

Par une stratégie Marketing et Produits bien ficelée, vous faisant croire que vous faites une bonne affaire alors qu’il n’en est rien. Je m’explique.

Les clients « Filippo Loreti » (pas vous, lecteur des Rhabilleurs j’en suis certain) ont eu le droit à un tour de passe-passe digne d’un vendeur de Thermomix bas de gamme au marché de Saint-Ouen le samedi matin.

Le discours : des montres dites « de Luxe » à un prix très abordable grâce à la suppression des intermédiaires de la distribution classique (transporteurs, distributeurs, revendeurs…).

Certes, mais pour quel résultat ?

Pour acheter un produit bas de gamme, à l’esthétique plus que douteuse et sans aucune valeur ajoutée.

On nous vend ici un design réalisé par des « designers » produits expérimentés, une collection aux codes esthétiques empruntés à 3 villes Italiennes emblématiques et des matériaux nobles. Il n’en est rien.

Les produits n’ont rien d’innovants, reprennent les codes esthétiques de l’horlogerie classique avec un mauvais goût stupéfiant et le discours de marque est parsemé de fausses promesses.

Prenons en exemple un sujet que nous connaissons bien : le bracelet.

Par « Italian Leather » on veut nous faire croire à un bracelet façonné par les mains d’un artisan Italien, dans son atelier, avec les plus beaux cuirs du monde. Entendez plutôt des cuirs bas de gamme, sélectionnés en Italie, envoyés en Chine pour être assemblés. Et hop, le tour est joué. Magnifique n’est-ce pas ?

Sans aller plus loin, le cas Filippo Loreti démontre qu’en jouant sur la méconnaissance produit du « grand public » et en utilisant des arguments clés bien identifiés (Designed in Italy, Editions limitées, Best Deal Ever…) on peut vendre n’importe quoi à n’importe qui.

Tout ceci bien sûr accentué par l’effet “Good Deal” Kickstarter, on peut ainsi lever près de 5 Millions d’euros avec beaucoup de  mauvais goût et aucune valeur ajoutée. Chapeau bas.

La rébellion « Goldgena Project » sur Kickstarter

Autre exemple et projet prometteur que nous avons suivi de très près et que nous avons longtemps eu envie de partager avec vous. longtemps, jusqu’à la publication du résultat final. Déception.

The Goldena Project (voir ici) annonce la couleur dès le début de sa campagne : « High-quality watches at a fraction of their price ». Qui peut dire NON à cela ? Personne.

Le Best Deal donc, qui commence par des prises de parole bien ficelées. Un discours dévoilé au fur et à mesure de l’avancée du projet, extrêmement critique du marché actuel et tout à fait réaliste, à la mise en scène bien travaillée. Well done guys.

On vous explique que l’industrie horlogère Suisse va mal, que les prix pratiqués sont injustifiés et qu’il s’agit là d’un véritable « scandale ». Que la révolution est en marche à travers des initiatives comme Goldgena.

En somme : un acte de rébellion Mélenchoniste mettant le consommateur au centre des prises de décisions pour que le résultat final devienne Swiss Made où bien Made in China. Encore mieux, la création d’un label TTO : Total Transparency on Origin.

Résultat ? deux modèles automatiques majoritairement fabriqués en Chine (choix des clients) aux designs qui ne nous parlent malheureusement pas (codes esthétiques, largeur et surtout épaisseur de boite) et un système de distribution exclusivement online (avec possibilité de découvrir les montres au poignet des premiers propriétaires).

Une belle initiative qui a su séduire un millier de clients. Reste à savoir si elle restera viable très longtemps.

Les raisons d’une telle folie commune

La première, soyons honnêtes, il s’agit de la résultante directe d’un monde horloger en pleine crise. Des augmentations de prix totalement injustifiées depuis plusieurs années et une très mauvaise écoute des marchés de la part des marques établies.

La seconde : une paupérisation de l’offre. Créativité au point mort depuis Gérald Genta chez les marques les plus connues, un monde de « rééditions » mal réalisées ou déclinaisons injustifiables pour étoffer une offre déjà bien pauvre. L’horlogerie Suisse va devoir se redresser rapidement. C’est certain.

La troisième : un monde du « luxe » (ce mot qui ne veut plus rien dire aujourd’hui) qui privilégie « prix excessifs » à la qualité de ses produits. Beaucoup trop de marques sont coutumières de cet état de fait, dans l’horlogerie comme dans beaucoup d’autres secteurs malheureusement.

Pour sortir du monde horloger : comment justifier une veste de costume Tom Ford mal taillée vendue 3400 €, tarif permettant d’investir dans 2 costumes 3 pièces chez Artling, Willman et bien d’autres ?

Une quatrième, pour le plaisir et parce que c’est un peu de notre faute tout de même ?

Un manque d’éducation des clients finaux. En effet, pourquoi se ruer sur une fausse bonne idée digitale alors que pour le même prix l’on peut trouver des pièces avec tellement plus de cachet sur le marché de l’occasion ? Je me le demande. Vraiment.

Ce qu’il faut en retenir ?

Internet et Kickstarter en particulier représentent de vraies opportunités pour toutes sortes d’initiatives de voir le jour. Nous le savons tous depuis bien longtemps. Tant mieux.

Mais internet a fait trop longtemps peur à un système bien établi. Un système ayant souvent du mal à en comprendre ses rouages, ne souhaitant pas y voir des opportunités et craignant les conséquences d’une telle « ouverture au public ».

Hors, tout ce que ce système voyait venir les bras croisés et la tête plantée dans le sable est arrivé. Et ce n’est qu’un début. Il est donc temps pour le petit monde horloger de se réveiller et profiter de l’immense source d’inspiration, d’écoute des clients et de recherche d’une honnêteté retrouvée pour avancer dans le droit chemin.

Mais internet reste et restera le reflet de la nature humaine. Tout n’y est pas beau (loin de là) et les « bonnes affaires » n’y sont pas forcément plus florissantes.

Si le succès d’un projet comme Filippo Loreti nous brise le coeur, nous encourageons vivement des initiatives comme Goldgena Project (même si le résultat esthétique ne nous plait pas) et surtout nous ne manquerons pas de soutenir de belles découvertes comme William L 1985, Baltic Watches ou encore Dan Henry (on y reviendra).

Il tient à chacun, dans sa compréhension du marché horloger et dans sa sensibilité aux montres, de passer le message et d’informer son entourage. Pour les lecteurs des Rhabilleurs, peu d’inquiétude. Même un petit budget, qui prend le temps de se renseigner et de choisir, peut se faire un plaisir vintage de folie, ou faire confiance à quelques nouveaux venus de talent, comme cités précédemment.

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