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La beauté de l’imperfection

La beauté de l’imperfection Quand l'imparfait nous fait aimer le beau

L’année 2020 touchant à sa fin, il convient de tourner la page avec panache. D’autant plus étant donné l’exceptionnelle médiocrité de celle-ci, inutile de faire la liste à charge. Prenant donc un peu de recul, je reviens ici sur l’étonnante réflexion qui m’a tenu éveillé à l’heure habituelle de la sieste, et qui permet à chacun de regarder avec un peu plus de bienveillance cette notion pourtant honnie qu’est l’imperfection. Du moins je l’espère.

Comme cela m’arrive souvent, j’avais le regard perdu l’autre jour, en regardant par la fenêtre de ma chambre. Ces moments suspendus dans la contemplation, où le temps s’arrête, apportent parfois leur lot d’inspiration. Ce fût le cas ce jour-là.

Bien au chaud, j’observais en fait les toits de tuiles battus par le vent et la pluie de décembre. Si je les avais déjà regardés à de nombreuses reprises, quelque chose me frappait pour la première fois. L’ancien lavoir et son petit toit tordu me paraissait infiniment attachant à côté de celui de sa maison voisine. J’ai toujours eu du plaisir à le regarder, sans que je sache vraiment pourquoi, comme ces objets ou ces lieux qui nous semblent familiers sans qu’on ne les connaisse vraiment. Mais ce jour-là, sans qu’aucune raison ne le laissât deviner, allait m’apporter la réponse.

L'imparfait toit - Guillaume Lancelot

Ses dimensions sont modestes, presque petites. Avec son faîtage légèrement arqué et parsemé de mousse, avec ses tuiles rondes aux couleurs changeantes, avec son irrégularité adoucie par le travail du temps, il avait tout de l’illustration d’un comte pour enfant, comme on en trouve dans les vieux Walt Disney ou les livres illustrés. S’il n’était plus tout jeune, il n’était pas en mauvais état pour autant. Curieusement, il dégageait à la fois une certaine fragilité, en comparaison du toit voisin, mais aussi une imperméabilité tant à l’épreuve du temps qu’à celle des éléments qui s’abattaient sur lui depuis tant d’années.

Mais pour la première fois donc, je sus ce que j’aimais tant dans ce petit toit : c’était son imperfection. Au milieu des grandes charpentes bien carrées aux tuiles parfaitement identiques, il trônait là, comme un pied de nez à notre époque moderne, si scrupuleuse, si Instagramable. De nos vêtements, jetés à la première usure — j’ai eu l’occasion d’en parler ici —, aux corps qu’ils couvrent, gommés du moindre défaut à coup de bistouri ou de salle de sport, en passant par nos objets connectés optimisant chacune de nos actions, nos fruits et légumes calibrés, nos maisons repeintes aux couleurs Pantone de l’année, nous chassons peu à peu l’inutile — j’ai également abordé le sujet ici — et l’imparfait. Nos maisons sont à 21°, notre musique à 128 BPM, et nos voitures à 4,5 L/100. Peut-être d’ailleurs est-ce à nos corps défendants que nous nous coulons dans le confort de cet environnement uniforme et rassurant. Mais il est bon parfois de se dresser, même tordu comme ce toit, contre l’image d’un monde où l’approximatif, le futile ou l’hétérogène n’auraient pas leur place.

Mais faire l’éloge de l’imperfection pour sa nature contestataire seulement serait bien réducteur, et manquerait l’essentiel de la richesse de cette notion si vaste. La raison de sa beauté ? Peut-être se cache-t-elle dans notre nature humaine, elle-même si imparfaite. C’est pourquoi d’ailleurs l’artisanat et le travail de la main apportent toujours ce supplément d’âme qu’aucune machine ne peut égaler. L’irrégularité d’un point sellier cousu à la main sera toujours bien plus touchant que la froideur mécanique d’une couture machine. La beauté, nous la retrouvons dans ce qui nous ressemble, tout du moins dans ce qui nous semble humain. La beauté ordinaire comme les plus grands chefs d’oeuvre ont en commun, je crois, de renfermer quelque chose de leur auteur, ce déséquilibre plus ou moins perceptible. La musique de Beethoven, les toiles de Raphaël comme l’élégance d’Yves Saint Laurent, toutes ces merveilles trahissent la nature tellement humaine, avec toute leurs faiblesses, de leurs auteurs. L’élégance d’un vieil homme qui passe ou le charme d’un livre aux pages usées, comme mon petit toit de tuile, renferment eux aussi, dans leur simplicité, presque leur modestie, cette grande beauté de l’imperfection. « Ma faiblesse m’est chère », dit Anatole France. « Je tiens à mon imperfection comme à ma raison d’être ».

Ainsi, pour autant que nous soyons amoureux du beau, attachons nous à l’imperfection. Dans nos vêtements, nos maisons et nos villes, laissons la place à ce petit accroc qui vient bousculer notre tranquillité. Il nous réveille, il nous rend vivants. Il nous rappelle que finalement, l’Homme est la plus imparfaite des oeuvres, et par là, probablement aussi la plus belle.

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