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LA LAMPE GRAS Une aventure industrielle

Fonctionnalité. Un mot dont on rappelle souvent les qualités premières, et que l’on apprécie retrouver dans nos objets du quotidien, en commençant par les belles qui habillent nos poignets.

La Lampe Gras est à mon avis un autre magnifique exemple d’objet d’utilité pure, trop oublié fut un temps pour passer à l’ombre face à certaines lampes “design” dont l’esthétique primait plus que la fonction.

Cette lampe, je l’ai connue grâce à l’ouvrage de Didier Teissonnière (La lampe Gras, 2008), passionné de cet objet et Galeriste au 40 rue Boursault dans le 17ème arrondissement de Paris. Et puisqu’une citation vaut plus que 1000 mots, introduisons le sujet avec les mots d’Avant Propos de Patrick Favardin, galeriste et historien de l’art :

Les ouvrages consacrés à l’histoire du luminaire, même ceux qui se veulent exhaustifs, ne lui accordent pas la moindre page, ni même la moindre mention. Faut-il s’en étonner, s’agissant d’une lampe si fonctionnelle et si performante, mais vouée à l’humble tâche d’amener la lumière là où elle doit se poser pour faciliter le labeur de l’ouvrier ou du dessinateur dans l’ombre anonyme des ateliers et des bureaux d’étude ? Cette vocation première, son créateur n’a pas cherché à l’esthétiser ni à la rendre emblématique, à la différence de tant de ses épigones.

Patrick Favardin

En reprenant les parties de cette bible de la lampe Gras, laissez-moi vous emmener dans le beau monde de l’objet dans toute sa splendeur, et dans son évolution intéressante tout au long du XXème siècle.

Lampe Gras - Design industriel

Une invention. Une aventure industrielle.

Bernard-Albin Gras dépose le 13 octobre 1921 un brevet pour une lampe articulée à usage industriel. Tout est dit sur son usage.

On ne s’en rend pas compte au premier coup d’oeil, mais il s’agit d’une véritable révolution dans le domaine professionnel. Elle rompt avec les systèmes équipés de potence ou à bras unique qui n’offraient pas l’éclairage nécessaire par leur trop faible mobilité. Sans compter qu’elle évite le danger de déplacer tout le temps l’éclairage, surtout dans un atelier.

Comment se distingue t-elle ?

Son support s’adapte à toutes les utilisations et lieux grâce à un écrou permettant de la fixer sur un établi, une machine outil ou d’une autre base stable. Son architecture est simple : une base, une boule en bakélite, qui forme avec le support une articulation à rotule permettant des déplacements en tous sens. Le bras s’articule à une bielle via une genouillère, à un réflecteur mobile et orientable. Deux ressorts plus tard, le tour est joué.

C’est alors que rentre en scène le comte Maurice Bruneteau de Sainte Suzanne. Séduit par l’objet, il décide de l’éditer en collaboration complète avec son inventeur Bernard-Albin Gras. Une association qui se révèle très bien fonctionner. Si bien que la clientèle s’étend jusque dans la fonction publique où les lampes atterrissent sur les bureaux de certains employés. On les observe aussi au sein des grands magasins. Elles quittent un peu les ateliers.

Le succès étant présent, le comte Maurice Bruneteau de Sainte Suzanne vend et le rachat a lieu en 1922 par Louis-Didier-Théodore Peyrot des Gachons, un inventeur qui a oeuvré dans les domaines de la publicité et de la carte postale. Oui, de la carte postale. Un inventeur brillant qui a fait évoluer les techniques de similigravure et de photolitographie. Mais qui trouve à la fin son bonheur dans divers articles de bureau, trombones, punaises et autres porte copies qui feront son succès.

Lampe Gras - Design industriel - Galerie Teisso

Il est celui qui apporte à la lampe Gras une modification devant la rendre plus sûre : le fil électrique est isolé dans un tube au lieu de caresser la bielle plate. Moins de risques.

En 1927, Didier des Gachons s’associe à Jean Ravel, pour donner un coup de fouet à l’entreprise. Aussi , afin de donner plus d’espace aux travailleurs et leurs travaux, les ateliers déménagent à Clamart dans une usine à trois étages où pénètrent bien les rayons du soleil. Heureux du succès de cette collaboration, Didier des Gachons se retire alors dans son pavillon d’Issy les Moulineaux, où il continuera d’exercer sa passion d’invention avant de mourir en 1951. A partir de ce moment là, elle prendra le nom de Lampe R.A.V.E.L “Réalisation d’appareils pour votre éclairage localisé”. Bien trouvé.

Lampe Gras - Design industriel - Ateliers RAVEL

Jean Ravel arrête la production en 1970, les commandes ralentissant dû à des machines outils qui intègrent désormais des éclairages, et une obsolescence face aux exigences croissantes de la sécurité au travail. Evidemment, elle prend rapidement sa place sur les bureaux, mais la compétition est acharnée déjà à ce moment.

Son fils reprendra l’affaire familiale jusqu’en 1983 ou il revend une partie des ses actions à Thierry Cagniard. La société qui l’a rachetée en 2000 est aujourd’hui propriétaire du nom.

Cette aventure industrielle est exceptionnelle dans la mesure ou elle a duré plus de 50 années.

La lampe gras et les architectes de la modernité.

Lampe Gras - Design industriel - Le Corbusier

Ce destin inattendu est révélateur du regard nouveau posé sur l’objet. Ce qui importe désormais, c’est sa capacité d’osmose avec les principes de “l’esprit nouveau”. Un objet est vrai, et donc moralement acceptable, si sa beauté formelle est le produit de sa pure fonctionnalité, acquérant ainsi une sorte d’innocence idéologique à l’instar de l’harmonieuse perfection d’un galet recueilli sur une plage. Il revient à Le Corbusier d’être le premier architecte du mouvement moderne à s’être intéressé à la lampe Gras, conçue, rappelons le, en 1921.

Didier Teissonniere, La Lampe Gras

Le Corbusier adopte donc cette Lampe pour ses bureaux et ses différentes maisons particulières. Robert Mallet Stevens, Eileen Gray et Michel Roux-Spitz renforceront cet intérêt pour l’objet en l’utilisant également. Le Corbusier dira avec les mots les plus justes que l’industrie peut livrer des objets qui sont :

de parfaite convenance, parfaitement utiles, et dont un luxe véritable et qui flatte notre esprit se dégage de l’élégance de leur conception, de la pureté de leur exécution et de l’efficacité de leurs services. Ils sont si bien mis au point qu’on les sent harmonieux et cette harmonie suffit à nous combler.

Le Corbusier, L’art décoratif d’aujourd’hui

Mais c’est un autre paradoxe dont Le Corbusier s’empare :

Autrefois l’objet simple était innombrable et bon marché; aujourd’hui il est rare et cher. Autrefois l’objet décoré était un élément de parade […]. Aujourd’hui, il inonde les grands magasins […]. S’il se vend bon marché, c’est qu’il est mal fabriqué et que le décor cache les tares de sa fabrication ou la mauvaise qualité des matières employées : le décor camoufle”

Le Corbusier, L’art décoratif d’aujourd’hui

Attention, Le Corbusier ne dit pas par ces mots que l’on retrouvera la beauté qu’il évoque par un retour aux gestes précis de l’artisan ou le recours à des matériaux plus rares, mais dans une évolution de la conception des objets fabriqués par l’industrie.

Lampe Gras - Design industriel

En effet, il faut que l’industrie puisse être compatible avec les nouveaux temps et les exigences qu’ils imposent. Il faut que l’objet libère l’homme plus que de brouiller son esprit par le “bruit” qu’il dégage. Et cela est bien sûr compatible avec les valeurs du goût que sont le choix, l’harmonie et la proportion. Aucune excuse, donc.

la lampe gras aujourd’hui

La lampe Gras a fait son retour sur le devant de la scène dans les années 1980. Et ce grâce à des amateurs regroupant aussi bien architectes, designers et marchands comme des particuliers. Nous pourrions appliquer le même raisonnement ou schéma à des objets de Jean Prouvé, Charlotte Perriand ou Serge Mouille. Des amateurs qui parvinrent à sauver du marteau de la démolition un grand nombre de travaux de ces derniers.

C’est Philippe Starck, qui en pensant la décoration de la maison Lemoult (Île Saint-Germain, Issy-les-Moulineaux) en 1987, conféra à la lampe une renommée internationale, et lui redonna ses lettres de “noblesse”. L’année 2005 sonne l’entrée de la lampe Gras au département design du centre George Pompidou.

Lampe Gras - Maison Lemoult - Philippe Starck

Une autre consécration dans la vie tumultueuse de la lampe qui éclairait autrefois le dur labeur d’ouvriers dans un grand nombre d’ateliers.

L’évolution de la décoration a progressivement amené la lampe gras dans les salons. Non pas comme une démarche engagée du vivant des lieux, mais davantage s’inscrivant dans une suite de hasards, d’objets accumulés au fil des années, des rencontres, des voyages et des inspirations. Le mouvement que Norma Skurka et Oberto Gili nomment “Radical chic” : dans la famille “industriel” la lampe Gras se taille une place de choix.

Un grand merci à Didier Teissonniere et à sa Galerie Teisso (40 rue Boursault, 75017 Paris) pour ses explications et sa sélection de lampes Gras. Si vous passez dans le coin, ou pas d’ailleurs, le voyage en vaut vraiment la (petite) peine.

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