Entrevue avec Michel Loris-Melikoff, Directeur Général de Baselworld
Il y a quelques mois, Gabriel avait eu l’occasion de rencontrer Michel Loris-Melikoff à Paris, après la prise de son mandat de nouveau Directeur Général du salon Baselworld. Paris était l’occasion pour lui, dans son long voyage d’introduction, de rencontrer divers acteurs du vaste monde de l’horlogerie pour avoir quelques ‘insights’.
Notre récent road trip vers Bâle nous a permis de le rencontrer à nouveau et de nous entretenir plus longuement avec lui à travers des questions orientées Baselworld, des interrogations sur le marché, mais aussi et surtout des questions plus humaines concentrées sur Michel Loris-Melikoff et sur ses quelques conseils de vie…
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Nous nous donnons donc rendez-vous au Grand Hotel des Trois Rois, à Bâle, dans la belle bibliothèque du premier étage.
Un peu de calme et de lumière. Après avoir renversé mon verre sur la table et effleuré le costume de Michel, qui n’a plus tout à fait confiance en moi, la discussion commence sur “l’avant Baselworld” du nouveau Directeur Général.
Michel Loris-Melikoff : Un parcours musical
Michel est un homme du droit. Après ses études, il commence une carrière de juriste qu’il poursuit par huit années de private banking. Un beau mardi matin, alors coincé dans les embouteillages, il prend conscience qu’il veut autre chose. Travailler sur la performance de l’argent des autres ne satisfait pas ses besoins de créativité.
Il donne alors sa démission, avant de travailler avec Red Bull à la distribution suisse dans les jeunes années d’une entreprise devenue mondiale aujourd’hui. Red Bull sponsorisait alors de nombreux évènements de musique électronique, qui se trouve être l’un de ses loisirs favoris. C’est ainsi qu’il prend en 2000 la présidence de la Street Parade, qui n’est autre que la plus grande manifestation électronique en Europe, à Zurich pour être plus précis. Elle accueille alors un peu plus d’un million de visiteurs.
Après d’autres challenges dans l’évènementiel, il rejoint le groupe MCH à la Direction de Lausanne et quand son mandat arrive à terme, il demande à MCH si un nouveau challenge pouvait lui être confié. On lui offre alors le poste de présidence de Baselworld. Ce à quoi il répond positivement.
Une première question nous vient alors tout naturellement : pourquoi avoir accepté ?
Il a accepté car pour une très grande majorité de ses interlocuteurs, Baselworld a toujours cette magie :
‘It’s Baselworld’
Baselworld déclenche une émotion chez les gens, et c’est ce qui l’a motivé à accepter cette mission. Le produit est beau et bon, et ce même si des travaux sont à entreprendre.
Cela fait de nombreuses années que Michel Loris-Melikoff vient à Baselworld par intérêt pour l’événementiel. Il aime à cheminer le long des allées et observer minutieusement les personnes qui y fourmillent. Cela donne un avis sur l’activité et le retour des visiteurs et exposants.
L’entrée dans le HALL 1.0 serait comme l’enfant qui découvre à Noel le sapin entièrement décoré et les choses qui l’attendent. Les stands sont immenses, colorés, lumineux, on discerne au loin les montres dans les vitrines. Ça peut paraître idéaliste, mais Basel doit redevenir cette manifestation magique pour l’industrie. Et pour cela Baselworld doit se remettre à jour.
Pour devenir Directeur Général de Baselworld, doit-on aimer l’horlogerie ?
Tout a commencé avec une Timex. Qu’il possède toujours. D’ailleurs, il a gardé toutes ses montres. Quand Swatch est arrivé, il en a acheté un nombre impressionnant, si bien qu’une caisse pleine de Swatch se trouve toujours chez lui. Il a aussi reçu des montres de famille, et pour lui chaque pièce apporte sa quantité d’émotions, d’histoires.
La Hublot qu’il porte le jour de notre rencontre, il l’a achetée le jour ou il a signé le contrat pour Baselworld.
Comment gère-t-on le départ du Swatch Group alors que l’on vient d’arriver ?
“La première chose qui est importante, c’est de beaucoup communiquer avec les différents interlocuteurs”
Il fermait les portes de son camion de déménagement alors qu’il quittait son domicile de Lausanne pour venir à Bâle quand il a reçu un appel. Le Swatch groupe quitte Baselworld. Un sixième jour de mandat sportif, donc. Mais malgré la situation exceptionnelle, il y a une nouvelle équipe à gérer, des nouveaux processus à mettre en place, la vie continue.
“Si tu stresses, tu gaspilles de l’énergie que tu devrais utiliser pour ta mission”
Une à deux heures de sport par jour aide aussi le grand passionné de voile qu’il est. Il utilise d’ailleurs la métaphore de ce sport. Quand tu penses connaître les vents à la sortie du port, mais que violemment le vent tourne où un bateau passe devant toi. Dans le business, le courant normal n’existe pas et il faut être prêt à tout.
Organiser un tel salon, comment ça se passe au quotidien ?
Les semaines de 70 à 80 heures qui se suivent sont bien remplies. Tout d’abord, il a fallu s’employer à la ré-organisation de la structure dans l’équipe. Afin de mettre en place des responsabilités claires. Il ne peut pas tout décider.
Il a pour l’instant la double casquette de Directeur Général et de responsable commercial, ce qui ne lui déplait pas. Cela lui permet de rencontrer les clients, de discuter et de surtout beaucoup les écouter, et expliquer ce qu’il souhaite faire. Et ce, qu’ils soient petits ou grands. Il peut ainsi avoir une image et une direction plus claires pour 2019 et se poser les bonnes questions pour 2020.
Pour une personne qui ne connait pas le salon, quel est l’intérêt de Baselworld ?
De manière générale, l’intérêt d’un salon, c’est d’avoir de manière concentré à un moment donné et à un endroit donné un marché qui se retrouve pour faire du commerce et du networking. Et internet ne pourra jamais remplacer ça.
Pour les clients du salon, la digitalisation est un outil de travail et de communication crucial, mais à la fin, quand on achète une montre, on veut savoir comment elle se porte, si elle nous plait. Et pour cela il faut l’essayer. La digitalisation ne fait donc pas tout.
Cet objectif originel de se réunir pour faire du commerce est-il toujours d’actualité ?
Le but a changé entre temps. Avant, le salon était exclusivement concentré sur le commerce. On faisait le gros du chiffre d’affaire à Bâle. Aujourd’hui l’objectif reste le même pour certaines marques, mais pour d’autres, il s’en écarte. Et ce parce qu’il existe davantage de possibilités de distribution et que Bâle doit répondre à de nouveaux objectifs. Notamment celle d’une plateforme de marketing et d’expérience. Le salon doit pouvoir faire converger ces deux objectifs.
Quels sont les prochains grands chantiers de Baselworld ?
Pour le futur de Baselworld, une dizaine de questions se posent. Il ne peut pas s’épancher sur toutes celles-ci. Mais de manière générale, il faut se poser la question de la structure des prix, et de la date.
“Est-ce que Baselworld et le SIHH doivent avoir lieu en même temps ?”
Certains horlogers pensent par exemple que les deux salons devraient avoir lieu au même moment. Certains joailliers ne sont pas forcément pour, car ils ont d’autres salons sur ces dates. Mais si la majorité de l’industrie pense que changer de période est important, alors il faudra prendre le temps de la réflexion.
Il est aberrant pour certains qu’un retailer d’Asie fasse deux fois l’aller-retour en Suisse, car un jour il fera la sélection entre les deux lieux. On doit écouter les besoins de l’industrie.
À quoi pourrait-on comparer Baselworld ?
Une pyramide. Baselworld est très large dans sa couverture, contrairement au SIHH qui se positionne sur un segment très haut de gamme. L’horlogerie est la partie à laquelle on pense souvent en premier mais le salon brille aussi par toute l’activité de gemmologie et la joaillerie.
Comment sentez-vous le marché aujourd’hui ?
Les temps ont changé, c’est certain. Pratiquement tous les deux mois un nouveau modèle est présenté. Ce côté exclusif de Baselworld n’est plus là pour l’instant et l’objectif est aussi de regagner cette exclusivité. Le tempo a tellement augmenté que cela oblige les organisateurs à voir beaucoup plus loin car les stratégies sont valables pour des laps de temps plus courts. On ne peut plus planifier de stratégies sur 5 ans.
“Est-ce que j’ai peur ? Non. Je trouve que c’est passionnant”
Et les marques françaises dans tout ça ?
Lors de son voyage à Paris, où nous l’avions rencontré pour la première fois, il a pu s’entretenir avec ceux qui animent la chambre française d’horlogerie et de la micro-industrie.
Il pense créer un stand français pour donner de la force et une plateforme aux jeunes créateurs qui n’ont pas les moyens d’un emplacement a Baselworld qui est stratégique dans la majorité des cas. Évidemment cela ne s’applique pas qu’aux créateurs français. La main doit leur être tendue, pour découvrir les talents de demain.
Et la question environnementale au salon Baselworld ?
Le recyclage en Suisse est plus avancé que celui de la France, certes. Au sein de MCH des initiatives existent depuis des années en terme de recyclage. La question du papier est cruciale pour Michel. Quand on sait qu’aujourd’hui le téléphone nous accompagne partout, on se demande encore pourquoi il faudrait s’entourer de 100 catalogues, de surcroit si l’on peut avoir plus de contenu et de belles photos sur le smartphone. Cette année, le Daily News va revenir, cette fois combiné avec de la réalité augmenté. Pour commencer à effectuer la transition.
Nous sommes à l’hôtel des Trois Rois, un Hotspot pendant le salon. Quels sont les autres lieux de rencontre durant le salon ?
Selon ses feedbacks, il y a un manque de côté convivial lié à une question de capacité et de volonté. La question se pose d’organiser des afterworks sur le salon avant que les gens ne le quittent le début de soirée venu. Quelques concerts ou un DJ qui ferait couler un peu de House serait le bienvenu. Ça ne durerait pas toute la nuit, cela va de soi, car quand les portes de Baselworld se ferment, il faut s’activer à nettoyer et organiser le jour d’après.
Aux hôteliers aussi de réduire les prix et faire des afterworks classiques ou à leur manière. À Paris, il y a une recrudescence de Pop-up Stores, pourquoi pas à Bâle sous forme de bars éphémères ?
Les conseils de Michel Loris-Melikoff
Culturellement, le must est d’aller à la Fondation Beyeler et au Kunstmuseum. Des endroits qui recèlent d’oeuvres fantastiques. Dont nous vous reparlerons bientôt d’ailleurs, car nous avons suivi son conseil.
Pour sortir, il y a un club a faire absolument, peut-être le seul de Bâle : le Nordstern, qui a reçu des gros artistes comme Sven Väth et Carl Cox.
C’est d’ailleurs le DJ qu’il nous conseille d’écouter sur notre chemin retour à Strasbourg. Il se souvient s’être mis un objectif personnel lors de son mandat Street Parade : ramener Carl Cox. Ce qu’il avait fait avec brio. C’était le seul à danser derrière Carl et devant 50.000 personnes pendant toute sa prestation.