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La montre Éloge de l'inutilité

Fruit de plusieurs millénaires d’apprentissage, la montre fut pendant longtemps l’expression la plus aboutie du savoir-faire acquis par l’homme dans sa recherche de la maîtrise du temps. A la fois miracle de technique et objet populaire, surtout depuis l’avènement des montres à quartz, elle connaît depuis quelques années maintenant la rude concurrence de nos téléphones dans sa fonction première. En devenant peu à peu inutiles, nos montres ne seraient-elles pas en train de se rendre tout à fait indispensables ?

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La maîtrise du temps

D’aussi loin que l’on remonte, l’Homme a toujours voulu comprendre cette notion aussi simple que mystérieuse qu’est le temps. Des jours qui se succèdent à la révolution de la lune, de la position des étoiles aux saisons, nombreux sont les repères naturels qui l’ont aidé à se repérer dans cette dimension bien difficile à appréhender. Pendant des millénaires ils furent les seuls outils à sa disposition, rendant impossible la mesure du temps au cours d’une même journée.

Il fallut attendre le deuxième millénaire avant J.C. pour qu’apparaissent au sein de la civilisation égyptienne un système de découpe du ciel en décans, leur permettant de mesurer l’écoulement du temps au cours de la nuit avec plus de précision. Le nombre de décans dans une nuit fut fixé à 12, ce qui donna naissance à une mesure à 24 unités dans une même journée, système que nous utilisons toujours aujourd’hui sous le nom des heures. Rapidement, l’Homme mit au point des instruments plus précis, à commencer par le gnomon puis le cadran solaire, et bientôt la clepsydre et le sablier. En 725 le chinois Yi Xing met au point la toute première horloge à échappement, ouvrant la voie à l’horlogerie proprement dite qui connaîtra véritablement son essor à partir du 14ème siècle, avec les innovations qu’on lui connaît. Celles-ci nous amènent à la montre-bracelet, sujet de nombreuses passions et de cet article.

Un objet devenu inutile

Le 29 juin 2007, la célèbre firme californienne à la pomme lance le premier iPhone. A l’époque, on ne mesure pas bien les bouleversements qui sont en oeuvre. Pourtant, plus de 13 ans après, nos habitudes ont radicalement évolué, que ce soit – entre autres – pour se faire livrer un repas, regarder les informations, ou lire l’heure. Pour ce dernier point, la montre mécanique de nos parents paraît bien inutile désormais. Fragile et nécessitant un entretien régulier, elle ne change pas d’heure toute seule, dans la majorité des cas n’a pas de fonction chronomètre et encore moins plusieurs fuseaux horaires.

En été, le bracelet est inconfortable, en hiver la montre est cachée sous les épaisseurs de chemise-pull-manteau, rendant sa lecture difficile. D’ailleurs, il suffit d’arrêter les passants et de leur demander l’heure pour observer combien utilisent leurs téléphones pour vous donner la réponse, et si le marché de l’horlogerie croît en valeur, il est bien à la baisse en unités vendues. Et pourtant, cet objet devenu obsolète, presque inutile est tellement symbolique.

L’héritage de Gautier

Comme un signe de ralliement des romantiques, la montre est devenue cet objet que l’on porte comme une  déclaration à l’amour du beau, sans autre fonction que le plaisir de la regarder de temps en temps. Si les raisons d’aimer les montres sont nombreuses — son mécanisme, son esthétique, son histoire… —, c’est leur relative inutilité, ou du moins désuétude, qui fait leur charme. Ainsi, je porte parfois une montre qui ne fonctionne plus — en attendant de pouvoir être révisée —, simplement car j’y suis attaché et que j’aime l’avoir à mon poignet. Libérées de toutes considérations pratiques, nos montres revêtent le plus noble des habits, celui de la beauté pour la beauté, ou pour reprendre le vocabulaire des Romantiques du 19ème siècle, de l’art pour l’art. Elles deviennent poésie. Le tic-tac régulier du balancier est son rythme, ses index sont ses vers, ses complications sont ses figures de style.

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Alors que jour après jour nous constatons, impuissants, les victoires de l’utilitarisme que sont tout ces petits renoncements — fini la cravate, exit les voitures anciennes, adieu les beaux stylos —, porter une montre mécanique relève d’une sensibilité particulière, d’un sentiment plus grand que le simple besoin d’avoir l’heure. On ne mesure réellement bien son attachement à quelque chose, ou à quelqu’un, que lorsque l’on n’en attend rien en retour. On aime tel objet pour ce qu’il est et non pour ce qu’il nous apporte. Ce dénuement nous apprend à regarder nos garde-temps différemment, à découvrir l’objet derrière la fonction. Quelque part, tout cela c’est aussi porter l’héritage de Théophile Gautier, chef de file des Romantiques, qui mieux que personne ne sait faire l’éloge de l’inutilité, et à qui je laisse le dernier mot, extrait de la préface de Mademoiselle de Maupin :

« Rien de ce qui est beau nest indispensable à la vie. – On supprimerait les fleurs, le monde nen souffrirait pas matériellement ; qui voudrait cependant quil ny eût plus de fleurs ? Je renoncerais plutôt aux pommes de terre quaux roses, et je crois quil ny a quun utilitaire au monde capable darracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux (…).

Il ny a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car cest lexpression de quelque besoin, et ceux de lhomme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. – Lendroit le plus utile dune maison, ce sont les latrines.

Moi, nen déplaise à ces messieurs, je suis de ceux pour qui le superflu est le nécessaire, – et jaime mieux les choses et les gens en raison inverse des services quils me rendent. »

Avec l’avènement des smartphones, nos montres ne servent à rien ? Tant mieux, elles n’en seront que plus belles.

15 réponses à “La montre”

  1. Bravo sur ce joli texte sur l’utilité absolue de l’inutile

  2. Amoureux des montres et….des voitures.C’est pouquoi j’en possède quelques unes etmalheureusement pas des plus prestigieuses.
    Une Oméga Constellation héritée de mon grand père, une Baume et Mercier Hampton et une Tag Heuer F1.Plus quelques chinoises ou autres sans grande valeur.L’avantage c’est que ces chers garde temps tiennent moins de place que les voitures….

  3. Fernand Malherbe dit :

    Autant le smartphone que la montre bracelet, tous les deux sont indispensables dans notre quotidien. Mais a choisir entre les deux, je prefere garder ma montre et me debarrasser de mon smartphone. Sans hesitation.

  4. Gut dit :

    Superbe article, qui nous rappelle merveilleusement bien Ô combien il est agréable de perdre son temps dans la vie. C’est cela aussi, porter une montre : apprendre à profiter de chaque minute, et parfois, quand on tombe sur une seconde un peu plus précieuse que les autres, savoir la figer d’un court regard en direction de sa tocante. Qu’importe si cette dernière fonctionne ou non – personnellement je ne remonte pas tous les jours la mienne et pourtant je la porte – ce qui compte c’est d’associer la beauté du temps qui passe à la poésie de notre madeleine de Proust faite de métal, d’or ou d’argent… De ce simple processus naît parfois la plus belle des choses : le souvenir.

    Merci !

  5. Thierry dit :

    C’est tellement vrai.

  6. Renaud Tripet dit :

    Je dirais plutôt que l’utilité de la montre a passé de la mesure du temps à la mesure et à la communication multi-data. Mais sa fonction artistique et décorative n’est pas remises en question. Reste aux “habilleurs” à se convertir à l’horlogerie numérique (connectée).

  7. POIRIER dit :

    Quand on me demande ” quel heure est-il ”
    Je regarde ma montre et j’oublie le reste
    Mario

  8. Alexandre dit :

    “Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie”
    Magnifique phrase, mais parle t’on d’une montre de luxe, ou de sa femme ? 🙂
    Article à déguster, comme souvent sur votre site !

  9. Eric dit :

    Personnellement, je regarde la montre que je porte (j’en ai 4) 50 fois, 100 fois par jour. Même si je sais l’heure qu’il est, c’est juste pour la beauté de l’objet.
    Mon smartphone, je le regarde…quand il sonne.
    Eric

  10. Frédéric HALBREICH dit :

    Bonjour et merci pour cet article nostalgique à souhait.
    Il éclaire une chambre souvent négligée. Celle des secrets de l’amour du temps maîtrisé, ou dumoins
    séquencé. Les montres à piles ne m’intéressent pas beaucoup. Par contre les mouvements horlogers me fascinent depuis toujours. Coïncidence ? Je viens d’acquérir coup sur coup une Rolex submariner et une Frank Muller Conquistador. Quel bonheur les montres…

  11. Jihel P. dit :

    Bonjour,
    Merci pour cette communication d’une sensibilité qui me touche, étant amateur de montres, de voitures anciennes et de beaux stylos (…à plume bien sûr) et même de cravates (;-)
    Quel plaisir de prendre le temps de contempler le cadran patiné et les fines aiguilles de notre vieille montre qui, imperturbablement continue à nous indiquer l’heure, de s’asseoir sur le siège d’une voiture qui s’en bon l’essence et de noter sur son agenda rendez-vous amoureux avec son bon vieux stylo plume qui nous suit depuis tant d’année.
    Merci de nous rappeler que ces bonnes choses sont des douceurs d’une vie non dénuée d’élégance de qualité.

  12. Guillaume Lancelot dit :

    Merci pour ces commentaires, je suis ravi de voir que l’inutilité a encore de beaux jours devant elle !

  13. Oufdii dit :

    Bonjour Guillaume,
    Merci pour ces belles lignes, lues à voix haute pour en profiter deux fois, comme un envoûtant tic-tac.
    Cordialement,
    Di

  14. Tur dit :

    Bonjour,
    C’est la seconde fois que je lis cet article… je précise la seconde et non la deuxième… les amoureux des dictionnaires comprendrons. Tout est un point de vue et le votre est le reflet de notre époque. Je ne pense pas qu’il aurait cours quand l’homme libre était un affranchi du temps et de sa mesure. Un Homme du passé pourrait nous trouver bien esclave de nos montres… aussi belle soient elles !.
    Cordialement.
    JP

  15. Clément dit :

    Bonjour à tous,

    Guillaume, je découvre cette plume, c’est un régal !
    Tellement vrai et beau, à contre-sens de la vie (Parisienne ?) actuelle qui prône le surchauffage de neurones, le stress ambiant et les agendas plein. L’art de prendre son temps, de profiter de l’instant présent et d’enregistrer les (plus belles) images de sa vie dans sa mémoire.
    Il faut maintenant que chacun trouve ou mettre le curseur entre le fait de vivre uniquement dans le passé en refusant tout ce que cette époque nous apporte (pour les montres comme pour le reste) et le fait de délaisser tout ce qui prend de l’âge. Personnellement, rien ne me fait plus plaisir que de jongler entre les deux.
    Quoi qu’il en soit, c’est un plaisir de lire cet article et ces commentaires.

    Au plaisir.

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